La prime de succès de l’avocat est-elle valable ?

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TF, 12.11.2020, 4A_512/2020

Un avocat ne peut pas s’attribuer unilatéralement une prime de succès sans en informer préalablement sa cliente, même si cela devait correspondre à un “usage” ou une “pratique”.

Faits

Un avocat genevois est contacté par une société anglaise de conseil juridique. Cette société représente plusieurs plaignants américains qui avaient été victimes d’une fraude financière orchestrée par un individu basé en Angleterre.

Grâce à un jugement anglais ordonnant la restitution en faveur des plaignants américains d’environ USD 16’500’000 déposés et séquestrés pénalement auprès d’une banque genevoise, l’avocat genevois sollicite et obtient des séquestres civils. Après le rejet des plaintes de l’escroc, l’avocat transfère le montant encaissé après avoir déduit CHF 750’000 d’honoraires, dont une prime de succès (success fee) de CHF 520’000.

La société anglaise conteste immédiatement la note d’honoraires en soutenant que la prime de succès, d’environ 3,5 % du montant recouvré, n’avait jamais été convenue. Saisie par la société anglaise, la Commission genevoise en matière d’honoraires d’avocats considère que la prime de succès est disproportionnée et qu’elle devrait être réduite à 2,5 % du résultat, soit environ CHF 400’000.

La société anglaise ouvre action contre l’avocat genevois afin d’obtenir le remboursement de la prime de succès. Le Tribunal de première instance du canton de Genève admet entièrement la demande.

Sur appel, la Cour de justice constate d’abord que les parties n’ont pas convenu d’une prime de succès. Selon la jurisprudence, le résultat peut néanmoins être pris en compte dans le montant des honoraires, à condition que l’activité déployée par l’avocat ait été déterminante dans le résultat obtenu. Cela étant, l’avocat genevois n’avait en l’espèce pas informé la société anglaise de cet usage. En outre, le résultat obtenu par l’avocat ne faisait en l’espèce pratiquement aucun doute. La Cour de justice conclut que le fait d’imposer cette prime de succès unilatéralement en fin de mandat heurte le sentiment de justice, vu l’importance de ce montant. En tout état, l’activité de l’avocat n’avait pas été déterminante en l’espèce. En effet, l’avocat pouvait s’appuyer sur des décisions judiciaires étrangères et les fonds visés étaient déjà localisés et bloqués. Par ailleurs, les honoraires facturés, hors prime de succès, correspondaient déjà à 1,4 % de la somme obtenue (ACJC/1256/2019).

Saisi par l’avocat genevois, le Tribunal fédéral est amené à préciser sa jurisprudence sur la licéité de la prime de succès.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que les honoraires du mandataire sont fixés en principe par la convention des parties. À défaut de convention, ils sont fixés par l’usage et en dernier ressort par le juge (cf. art. 394 al. 3 CO).

Selon l’art. 12 let. e LLCA, l’avocat ne peut pas, avant la conclusion d’une affaire, passer une convention avec son client par laquelle ce dernier accepterait de faire dépendre les honoraires du résultat de l’affaire ; il ne peut pas non plus s’engager à renoncer à ses honoraires en cas d’issue défavorable du procès. La LLCA ne contient aucune autre règle sur la fixation des honoraires d’avocat.

En droit genevois, l’art. 34 LPAv/GE prévoit que les honoraires sont fixés par l’avocat lui-même compte tenu du travail qu’il a effectué, de la complexité et de l’importance de l’affaire, de la responsabilité qu’il a assumée, du résultat obtenu et de la situation de son client. Confronté à cette disposition, le Tribunal avait constaté en 2009 l’existence d’un usage genevois consistant à prendre en compte le résultat obtenu pour déterminer le montant des honoraires (ATF 135 III 259). En 2013, “une autre cour du Tribunal fédéral” avait considéré comme exempt d’arbitraire l’usage genevois permettant à l’avocat d’adresser à son client une facture complémentaire fondée sur le résultat dans la mesure où son intervention avait été déterminante pour celui-ci (5A_582/2012).

Le Tribunal fédéral approuve la critique de Schwander concernant l’ATF 135 III 259. Cet auteur considère que, certes, les parties peuvent convenir d’une prime de succès, néanmoins le droit cantonal ne peut pas prévoir que l’avocat peut s’octroyer unilatéralement une telle prime, sans accord contractuel. Tel est le cas même si l’octroi unilatéral de la prime devait correspondre à l’usage mentionné par l’art. 394 al. 3 CO. Le Tribunal fédéral rejoint également l’avis de Schwander concernant les conséquences de la violation de l’obligation d’informer sur la prime de succès. Partant, si l’avocat désire recevoir une prime de succès, il doit nécessairement en informer le client avant d’accepter le mandat (cf. art. 12 let. i LLCA), en précisant notamment quel élément (“résultat“) justifiera la perception de cette prime. Cette communication équivaut à un accord tacite sur cet prime lorsque le client ne réagit pas aux informations données par l’avocat sur la prime de succès. L’art. 34 LPAv/GE doit dès lors être interprété dans ce sens, afin d’être conforme au droit fédéral.

En l’espèce, la Cour de justice a constaté que l’avocat genevois n’avait pas informé sa cliente de l'”usage genevois” permettant de prélever une prime de succès. A cet égard, le recourant invoque une constatation arbitraire des faits, argument qui est rejeté par le Tribunal fédéral.

Partant, le recours est rejeté.

Note

Cet arrêt, non destiné à la publication mais décidé à cinq juges, contient également des considérants intéressants relatifs à deux autres sujets.

Premièrement, le Tribunal fédéral examine l’argument du recourant selon lequel il représentait directement les plaignants américains. Ces derniers seraient ainsi ses propres mandants. Notre Haute Cour en profite pour rappeler la distinction entre substitution (art. 398 al. 3 CO), service d’un auxiliaire (art. 101 CO) et représentation directe (art. 32 ss CO). En l’espèce, l’avocat recourant ne parvient pas à démontrer que la société anglaise aurait représenté les plaignants américains. Au contraire, le Tribunal fédéral considère que l’avocat genevois était le substitut de la la société anglaise.

Secondement, le Tribunal fédéral se penche sur la problématique de l’invocation de la prescription tardive. Il souligne que l’exception de prescription doit être introduite dans les mêmes délais que les allégations de fait et satisfaire le cas échéant au régime restrictif des novas (cf. l’art. 229 CPC pour la première instance). En l’espèce, l’avocat avait invoqué l’exception de prescription lors de sa plaidoirie finale aux débats principaux, sans prétendre réaliser les conditions de l’art. 229 CPC. Cette invocation était ainsi tardive. En tout état de cause, le Tribunal fédéral considère que l’action n’était pas soumise à un délai de prescription annuel au sens de l’art. 68 al. 1 aCO, mais bien à la prescription de dix ans prévue par l’art. 127 CO. En effet, l’action de la société anglaise était en réalité une action en restitution au sens de l’art. 400 CO, et non une action en enrichissement illégitime (art. 62 CO).

Proposition de citation : Célian Hirsch, La prime de succès de l’avocat est-elle valable  ?, in : www.lawinside.ch/1000/