Le délai de recours contre une ordonnance de blocage de compte

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ATF 147 IV 137 | TF, 25.11.2020, 1B_537/2019*

Le délai de 10 jours pour recourir contre une ordonnance de blocage de compte commence à courir avec la notification écrite de l’ordonnance au titulaire du compte.

Faits

Le 30 avril 2019, le Ministère public du canton de Schwyz ordonne le blocage du compte bancaire d’un prévenu notamment soupçonné d’escroquerie. Le Ministère public impose à la banque en question une obligation provisoire de garder le silence sur l’existence de la procédure. Trois semaines plus tard, l’enquête pénale est transférée au Ministère public du canton de Saint-Gall.

Le 13 juin 2019, le Ministère public délie la banque de l’obligation de garder le silence.

Le 17 juin 2019, une avocate de l’étude qui défend le prévenu se renseigne par téléphone auprès du Ministère public de Saint-Gall sur les raisons du blocage de compte. Lors de la conversation téléphonique, ni la date du blocage de compte, ni l’autorité l’ayant ordonné, ni les détails sur le contenu des mesures de contraintes ne sont mentionnés. Onze jours après cet entretien téléphonique, le prévenu requiert la consultation du dossier, et l’ordonnance du 30 avril 2019 lui est notifiée le 10 juillet 2019.

Le 19 juillet 2019, le prévenu recourt contre le blocage de compte auprès de la Chambre d’accusation du canton de Saint-Gall, qui n’entre pas en matière. Le prévenu recourt alors auprès du Tribunal fédéral, qui doit examiner si le délai pour recourir contre le blocage de compte était échu le 19 juillet 2019, et donc déterminer si le dies a quo du délai de recours de 10 jours correspond au jour de l’entretien téléphonique du 17 juin 2019 (art. 396 al. 1 cum art. 384 CPP).

Droit

Si un blocage de compte est initialement ordonné en tant que mesure d’enquête secrète, notamment en lien avec une obligation pour la banque de garder le silence selon l’art. 73 al. 2 CPP, il doit par la suite être notifié aux titulaires de comptes concernés par la voie écrite et avec indication des voies de droit (art. 80 al. 2, art. 85 al. 2, art. 199 et art. 263 al. 2 cum art. 266 al. 1 et al. 4 CPP). Le dies a quo du délai de recours doit donc être calculé selon l’art. 384 let. b CPP, à savoir à partir du moment où l’ordonnance de blocage du compte a été notifiée par écrit au titulaire du compte.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral estime que l’entretien téléphonique informel du 17 juin 2019 ne constitue pas une notification de l’ordonnance et ne déclenche pas le délai de recours au sens de la loi. Le fait que la défense ait requis la consultation du dossier 11 jours plus tard semble tout à fait normal et ne saurait être qualifié de comportement dilatoire et donc abusif.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral relève que le Ministère public aurait été libre de déclencher le délai de recours en notifiant l’ordonnance plus tôt. En effet, la notification écrite de l’ordonnance telle que prescrite par la loi aurait pu être effectuée à partir du 13 juin 2019, à savoir dès le moment où le Ministère public avait délié la banque de l’obligation de garder le silence (cf. art. 199 CPP).

Ainsi, uniquement une notification formelle de l’ordonnance aurait déclenché le début du délai selon l’art. 384 let. b cum art. 396 al. 1 CPP. Le fait que le Ministère public ait provisoirement obligé la banque de garder le silence et renoncé à notifier formellement le titulaire du compte ne doit pas avoir pour effet d’entraver ou de rendre beaucoup plus difficile le droit de recours légal du titulaire du compte (art. 393 al. 1 let. a CPP ; art. 29a Cst.). Dès lors, le Tribunal fédéral constate que la défense ne pouvait recourir contre le blocage de compte avant le 10 juillet 2019, jour auquel l’ordonnance du 30 avril 2019 a été notifiée. Les détails pertinents, notamment la date de l’ordonnance, l’autorité l’ayant rendue, les autres mesures de contraintes en lien avec le blocage de compte et l’indication des voies de droit ne sont parvenus qu’avec l’ordonnance du 30 avril 2019. Le délai de recours a donc commencé à courir uniquement avec la notification formelle au titulaire de compte le 10 juillet 2019. En conséquence, le recours du 19 juillet 2019 a été effectué dans le délai de 10 jours à compter de la notification de l’ordonnance.

Le Tribunal fédéral précise finalement qu’une ancienne jurisprudence, selon laquelle une simple notification de la banque au titulaire de compte pouvait déclencher le délai de recours, a été corrigée dans un arrêt précédent (1B_210/2014 c. 5.4).

Pour ces motifs, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à l’instance précédente.

Proposition de citation : Noé Luisoni, Le délai de recours contre une ordonnance de blocage de compte, in : www.lawinside.ch/1003/