Le trafic de stupéfiants par métier en cas de commission en bande (art. 19 al. 2 let. b et c LStup)

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ATF 147 IV 176 | TF, 03.02.21, 6B_1302/2020*

En cas de trafic illicite de stupéfiants en bande (art. 19 al. 2 let. b LStup), le chiffre d’affaires réalisé par la bande est entièrement imputable à chaque membre afin de déterminer s’il y a commission par métier selon l’art. 19 al. 2 let. c LStup.

Faits

Un individu est condamné à une peine privative de liberté de six ans pour infraction grave à la LStup selon l’art. 19 al. 1 let. b, c, d et g cum art. 19 al. 2 let. a (mise en danger de la santé de nombreuses personnes) et let. b (trafic en bande) LStup par le Bezirksgericht de Kulm en Argovie.

Le prévenu forme appel auprès de la cour cantonale compétente. Celle-ci le condamne à une peine privative de liberté de sept ans et demi, retenant une infraction grave à la LStup selon les dispositions précitées et selon la circonstance aggravante supplémentaire de l’art. 19 al. 2 let. c LStup (trafic par métier). Selon la cour, l’individu se serait associé à quatre autres personnes pour former une bande afin de vendre de la cocaïne à grande échelle. L’instance cantonale estime le chiffre d’affaires réalisé par la bande à un montant excédant CHF 250’000.

Le prévenu interjette recours auprès du Tribunal fédéral, considérant que c’est à tort que la cour cantonale a retenu l’application de la circonstance aggravante de l’art. 19 al. 2 let. c LStup. L’individu se prévaut notamment du fait qu’il exerçait une activité lucrative légale au moment des faits et du fait qu’il ne représentait qu’un cinquième – environ CHF 50’000 – du chiffre d’affaires réalisé par la bande. Le Tribunal fédéral est en particulier appelé à préciser la notion d’agissement par métier selon l’art. 19 al. 2 let. c LStup en cas de trafic en bande (art. 19 al. 2 let. b LStup).

Droit

Le cas aggravé prévu à l’art. 19 al. 2 let. c LStup suppose que l’auteur ait réalisé un chiffre d’affaires ou un gain important. Selon la jurisprudence, est important un chiffre d’affaires de CHF 100’000 ou davantage et un gain de CHF 10’000 ou plus. Le cas aggravé suppose en outre que l’auteur ait agi par métier. C’est le cas lorsqu’il résulte du temps et des moyens qu’il consacre à ses agissements délictueux, de la fréquence des actes pendant une période déterminée, ainsi que des revenus envisagés ou obtenus, qu’il exerce son activité coupable à la manière d’une profession, même accessoire ; il faut que l’auteur aspire à obtenir des revenus relativement réguliers représentant un apport notable au financement de son genre de vie et qu’il se soit ainsi, d’une certaine façon, installé dans la délinquance.

Le fait que l’auteur agisse par métier au sens de art. 19 al. 2 let. c LStup constitue une circonstance personnelle au sens de l’art. 27 CP. Par conséquent, en cas de participation à l’infraction, l’agissement par métier ne peut être retenu que si le prévenu en question remplit lui-même la circonstance aggravante de l’infraction.

En l’espèce, le recourant faisait partie d’une bande qui s’était constituée dans le but de vendre de la cocaïne à un nombre indéterminé de clients. Sur la base de divers éléments, dont des infractions avérées portant sur plusieurs kilos de cocaïne en une courte période, la fonction du recourant en tant qu’organisateur des livraisons, ainsi que le chiffre d’affaires généré, le Tribunal fédéral estime que c’est à bon droit que l’instance cantonale a considéré que le recourant s’était organisé de façon à obtenir des revenus destinés à contribuer de manière considérable au financement de son genre de vie. Par ailleurs, le fait que le recourant exerce une activité lucrative ne permet pas d’exclure la qualification d’agissement par métier, le rapport entre le revenu des infractions et le revenu ordinaire de l’activité lucrative n’étant pas pertinent selon la jurisprudence.

En ce qui concerne le chiffre d’affaires ou gain important, le prévenu se prévaut du fait qu’il ne représenterait qu’un cinquième – inférieur à la valeur seuil de CHF 100’000 – du chiffre d’affaires réalisé (soit environ CHF 50’000). Or selon le Tribunal fédéral, le chiffre d’affaires ou gain important ne doit pas nécessairement revenir directement au prévenu. Le fait que la circonstance personnelle (de l’agissement par métier) doive être présente dans la personne du recourant n’y change rien.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral se penche sur la notion de bande, laquelle présuppose un certain degré d’organisation et une collaboration entre ses membres. D’un point de vue subjectif, la commission d’une infraction en bande ne peut être retenue que si l’intention des membres est orientée vers la commission commune d’une pluralité d’infractions. La commission d’une infraction en bande consiste ainsi en une forme d’activité délictuelle commune plus intense que la coactivité. Partant, le Tribunal fédéral estime qu’il n’y a aucune raison de traiter le membre d’une bande différemment – en ce qui concerne le chiffre d’affaires réalisé grâce à la commission de l’infraction en bande – de tout coauteur auquel l’ensemble de l’infraction est imputé sur la base de la coactivité.

La commission en bande de l’infraction au sens de l’art. 19 al. 2 let. b LStup n’étant pas contestée in casu, le chiffre d’affaires réalisé par la bande, qui dépasse de loin le seuil de CHF 100’000, est entièrement imputable au recourant. Le critère de qualification par métier est donc rempli en ce qui le concerne.

Partant, le recours est rejeté.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral note qu’il se prononce pour la première fois sur une argumentation comme celle du recourant concernant l’appréciation du chiffre d’affaires important selon l’art. 19 al. 2 let. b LStup en cas d’infraction par une bande (art. 19 al. 2 let. c LStup). Quand bien même le résultat auquel le Tribunal fédéral parvient peut être compris, le raisonnement ne convainc pas entièrement. La circonstance aggravante de l’agissement par métier (art. 19 al. 2 let. b LStup) dans son ensemble constitue une circonstance personnelle selon l’art. 27 CP devant être analysée de façon individuelle pour chaque personne. Or le Tribunal fédéral se fonde sur une composante de cette circonstance aggravante – soit le chiffre d’affaires important – appréhendée non pas individuellement mais sur la base du montant total récolté par la bande. A l’appui de ce qui précède, le Tribunal fédéral mentionne que la commission d’une infraction en bande est une forme d’activité délictuelle commune plus intense que la coactivité. Partant, il n’y aurait aucune raison de traiter le membre d’une bande différemment – en ce qui concerne le chiffre d’affaires réalisé grâce à la commission de l’infraction en bande – de tout coauteur auquel l’ensemble de l’infraction est imputé sur la base de la coactivitéLe fait d’imputer l’entier du chiffre d’affaires de la bande à ses membres – à l’instar d’une circonstance réelle – n’est-il toutefois pas en contradiction avec la qualification de l’art. 19 al. 2 let. b LStup en tant que circonstance personnelle (art. 27 CP) ? En lieu et place de cette solution peu satisfaisante, il aurait été souhaitable que le Tribunal fédéral – conformément à la ratio legis de l’art. 27 CP – préconise une approche individualisée de l’appréciation du chiffre d’affaires permettant de retenir l’agissement par métier d’un membre d’une bande, quitte à établir de nouveaux critères et valeurs seuils à cet effet. Alternativement, une qualification claire du chiffre d’affaires nécessaire à la circonstance aggravante de l’art. 19 al. 2 let. b LStup comme circonstance réelle ainsi qu’une délimitation des autres éléments permettant de retenir l’agissement par métier – demeurant circonstances personnelles – auraient été bienvenues.

Enfin, il semble que le Tribunal fédéral s’écarte de sa jurisprudence. Dans un arrêt de 2016 (TF, 27.09.16 6B_976/2015), celui-ci avait en effet réfuté l’application de la circonstance aggravante de l’art. 19 al. 2 let. b LStup à un prévenu membre d’une bande. En l’espèce, le prévenu concerné n’avait lui-même réalisé ni un gros chiffre d’affaires ni un bénéfice important. Il avait transmis le produit de la vente de stupéfiants d’un montant de CHF 130’000 à deux autres membres de la bande sans le garder pour lui, ne retirant qu’environ CHF 5’000 de l’argent gagné. Le Tribunal fédéral avait alors explicitement indiqué que le prévenu ne remplissait pas la condition du chiffre d’affaire important, puisqu’il n’avait fait que recevoir l’argent provenant de la vente des stupéfiant et le transmettre. En outre, le prévenu n’aurait pas réalisé un gain important. En suivant l’argumentation du Tribunal fédéral figurant dans l’arrêt résumé ci-dessus, l’élément de bande aurait dû prendre le dessus et aurait pu permettre de retenir un chiffre d’affaires important le concernant. 

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, Le trafic de stupéfiants par métier en cas de commission en bande (art. 19 al. 2 let. b et c LStup), in : www.lawinside.ch/1036/