La notion d’établissement stable au sens de la LFAIE

Télécharger en PDF

ATF 147 II 281TF, 22.03.2021, 2C_589/2020*

La notion d’établissement stable au sens de l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE doit être comprise de manière restrictive. En cas d’acquisition isolée d’un immeuble devant servir de résidence au personnel d’un hôtel, cet immeuble ne peut pas être considéré comme faisant partie d’un établissement stable. 

Faits

Un investisseur étranger souhaite acquérir un immeuble destiné à la construction de logements pour le personnel d’un hôtel situé dans la même commune. L’inspectorat du registre foncier et registre du commerce du canton des Grisons rend une décision retenant que l’immeuble en question est à considérer comme faisant partie d’un établissement stable au sens de l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE et que l’acquisition de cet immeuble par des personnes à l’étranger ne nécessite ainsi pas d’autorisation.

L’Office fédéral de la justice (OFJ) recourt contre cette décision auprès du Tribunal administratif du canton des Grisons, estimant que l’acquisition de cet immeuble par des personnes à l’étranger devrait être soumise à autorisation conformément à la Lex Koller.

Débouté, l’OFJ interjette alors recours auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier se penche sur la question de savoir si l’immeuble en cause est à considérer comme faisant partie d’un établissement stable selon l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE.

Droit

À teneur de l’art. 2 al. 1 LFAIE, l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger est subordonnée à une autorisation de l’autorité cantonale compétente. La loi prévoit toutefois des exceptions à l’obligation d’autorisation (art. 2 al. 3 et art. 7 LFAIE). Selon l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE, l’autorisation n’est pas nécessaire si l’immeuble “sert d’établissement stable pour faire le commerce, exploiter une fabrique ou exercer en la forme commerciale quelqu’autre industrie ainsi que pour exercer une activité artisanale ou une profession libérale”.

À l’appui de sa décision, le registre foncier avait considéré que les logements prévus étaient nécessaires à l’exploitation (“betriebsnotwendig“) de l’hôtel et faisaient ainsi partie de l’établissement stable que constitue l’hôtel. Partant, les logements échappaient également à d’obligation d’autorisation au sens de l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE, ce que l’OFJ conteste.

Le Tribunal fédéral procède alors à une interprétation de la notion d’établissement stable au sens de l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE. Selon le Tribunal fédéral, la notion d’établissement stable doit être comprise de manière restrictive, celle-ci ne visant que les immeubles qui servent directement à l’activité économique d’une entreprise ou d’une profession libérale. Conformément à la jurisprudence, l’activité économique doit être exercée dans l’immeuble concerné (TF, 2A.428/1999, c. 3d). Dans ce contexte, l’acquisition – sans autorisation – de logements par une personne à l’étranger n’est possible qu’en cas d’acquisition simultanée (“Miterwerb“) des logements imposés par les prescriptions relatives aux quotas de logements, ainsi que les surfaces réservées à cet effet (art. 2 al. 3 LFAIE). Le Tribunal fédéral note qu’en pratique, sont également autorisés à être acquis simultanément les logements qui sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise et ceux dont la séparation de l’immeuble abritant une l’entreprise pour en faire un immeuble distinct serait pratiquement impossible ou constituerait une exigence disproportionnée.

Le Tribunal fédéral se réfère également à l’art. 3 OAIE, selon lequel il n’y a pas établissement stable si l’immeuble est affecté à la construction ou à la location, à titre professionnel, de logements qui ne font pas partie d’un hôtel ou d’un apparthôtel. Si un immeuble est utilisé à des fins résidentielles et qu’une certaine offre de prestations hôtelières n’est pas garantie, celui-ci n’est ainsi pas considéré comme faisant partie d’un hôtel ou d’un apparthôtel.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral note que la nécessité de maintenir les restrictions contre les investissements étrangers dans des immeubles d’habitation a récemment été soulignée (cf. Message additionnel concernant l’abrogation de la LFAIE, FF 2013 8135, p. 8139 ss). Des assouplissements en la matière ayant été refusés à maintes reprises, il conviendrait d’en tenir compte.

En l’espèce, il ne s’agit pas d’une acquisition simultanée (art. 2 al. 3 LFAIE), mais plutôt de l’acquisition isolée d’un immeuble devant servir à des fins résidentielles. En effet, même des appartements prévus pour un personnel d’hôtel servent une fonction de logement et ne peuvent donc pas constituer un établissement stable. Le Tribunal fédéral retient alors que, faute de base légale, l’immeuble en cause ne peut pas être acquis par une personne à l’étranger sans autorisation selon la Lex Koller ; les difficultés à trouver des logements sur le marché locatif régional n’y changeant rien.

Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner si les logements sont nécessaires à l’exploitation (“betriebsnotwendig“). Cette notion ne jouerait un rôle que dans le cas d’une acquisition simultanée, laquelle n’est pas donnée in casu.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, La notion d’établissement stable au sens de la LFAIE, in : www.lawinside.ch/1043/