L’étendue d’une plainte pénale pour violation de domicile à l’encontre d’une journaliste

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ATF 147 IV 199 | TF, 25.03.2021, 6B_1214/2020*

Le comportement d’un groupe de squatteurs qui occupe une maison ne peut pas être imputé à une journaliste qui y pénètre dans le seul but de rédiger un reportage sur la situation. Partant, la plainte pénale pour violation de domicile déposée par le propriétaire à l’encontre des squatteurs ne vaut pas envers la journaliste.

Faits

En avril 2016, des squatteurs occupent une maison à Lucerne. La société propriétaire dépose une plainte pénale contre inconnu pour violation de domicile. Le même jour, une journaliste se rend sur la propriété et pénètre dans l’immeuble afin de rédiger un reportage sur la situation. L’article est publié le lendemain.

Le Ministère public de Lucerne rend une ordonnance pénale, condamnant la journaliste à 5 jours-amende à CHF 90 ainsi qu’à une amende de CHF 100 pour violation de domicile. La journaliste fait opposition et le Ministère public classe la procédure au motif qu’elle avait pénétré dans la maison dans sa fonction de journaliste et qu’elle l’avait quittée après avoir récolté les informations sur l’occupation.

Le Tribunal cantonal de Lucerne admet cependant le recours de la société propriétaire contre l’ordonnance de classement. Le Ministère public rend donc une nouvelle ordonnance pénale à l’encontre de la journaliste pour violation de domicile, la condamnant à 5 jours-amende à CHF 90 et à une amende de CHF 100. Statuant sur opposition de la journaliste, le Tribunal d’arrondissement de Lucerne la condamne à une amende de CHF 500 pour violation de domicile.

Voyant son appel rejeté par le Tribunal cantonal de Lucerne, la journaliste recourt au Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à examiner si la journaliste était visée par la plainte pénale déposée contre inconnu.

Droit

En principe, une plainte pénale (art. 30 CP) peut uniquement être déposée contre des actes déjà commis et ne peut se diriger de manière préventive contre d’éventuelles infractions ultérieures.

Cependant, lorsqu’une plainte pénale est déposée contre un délit continu tel que la violation de domicile selon l’art. 186 CP, les effets de la plainte s’étendent en principe aussi aux faits dénoncés qui perdurent après le dépôt de la plainte. La plainte vaut alors également à l’égard de tout participant qui viendrait prendre part au délit continu postérieurement au dépôt de la plainte (ATF 128 IV 81 c. 2). Il faut pour cela que le comportement dénoncé lui soit imputable selon les règles matérielles sur la participation.

Dans le cas d’espèce, l’état de fait visé par la plainte pénale était l’occupation de la maison par les squatteurs. Le Tribunal fédéral relève que la journaliste n’a pas participé à ce délit continu au sens des règles matérielles. Elle n’a pas pénétré dans le domicile dans le but de participer à l’occupation de la maison par les squatteurs. La journaliste a mis pied dans l’immeuble dans l’intention d’écrire un reportage sur l’occupation de la maison, reportage qu’elle a par la suite rédigé et publié. Même si elle avait elle-même commis une violation de domicile en pénétrant sur le bien-fonds et dans la maison, cela aurait constitué un acte à part et non une participation réprimandable à l’éventuelle violation de domicile commise par les squatteurs. Il n’est par ailleurs pas reproché à la journaliste d’avoir voulu aider les squatteurs ou participer à l’occupation.

Comme le comportement potentiellement punissable des squatteurs ne saurait être imputé à la journaliste, le Tribunal fédéral constate qu’il n’existe pas de plainte pénale à son encontre pour l’infraction qui lui est reprochée.

La question de savoir si, en désignant les squatteurs comme auteurs inconnus, la plainte pénale s’étendait également à toute personne qui commettrait éventuellement une violation de domicile par des actes autres que l’occupation de la maison, est laissée ouverte par le Tribunal fédéral.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral admet le recours de la journaliste et classe la procédure.

Proposition de citation : Noé Luisoni, L’étendue d’une plainte pénale pour violation de domicile à l’encontre d’une journaliste, in : www.lawinside.ch/1045/