Le faux témoignage d’une personne entendue à tort en qualité de témoin (art. 307 CP)

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ATF 147 IV 373 | TF, 02.06.2021, 6B_1022/2020*

Une personne auditionnée à tort en tant que témoin ne peut commettre, y compris à titre de tentative, un faux témoignage au sens de l’art. 307 CP. En effet, puisque cette personne ne revêt en réalité pas la qualité de témoin, elle ne peut violer l’obligation de dire la vérité qui incombe à ce statut.

Faits

Un couple marié est victime de brigandage. Au cours de l’enquête policière, l’épouse indique faussement que c’était elle, et non son mari, qui conduisait le véhicule dans lequel ils se trouvaient juste avant le brigandage. Elle réitère ces propos lorsqu’elle est auditionnée par le Ministère public en tant que témoin dans le cadre d’une procédure pénale à l’encontre de son mari pour conduite en état d’incapacité.

Le Bezirksgericht zurichois condamne cette femme pour faux témoignage (art. 307 CP) et multiples tentatives d’entrave à l’action pénale (art. 305 CP).

Sur appel, l’Obergericht zurichois reconnaît que le Ministère public aurait dû entendre la prévenue en tant que personne appelée à donner des renseignements, et non en tant que témoin, lors de l’audition  dans l’enquête concernant la conduite en état d’incapacité, car il existait déjà à son encontre un soupçon d’entrave à l’action pénale en faveur de son mari. Il la condamne pour tentatives de faux témoignage (art. 307 CP) et d’entrave à l’action pénale (art. 305 CP).

La prévenue fait alors recours au Tribunal fédéral. Celui-ci doit notamment déterminer si une personne auditionnée à tort en tant que témoin peut commettre, ou tenter de commettre, un faux témoignage au sens de l’art. 307 CP.

Droit

L’art. 307 al. 1 CP prévoit la punissabilité du témoin qui fait une fausse déposition sur les faits d’une cause. Cette disposition est un délit propre pur : seule une personne revêtant la qualité légale requise peut commettre une telle infraction.

L’instance précédente et la prévenue s’accordent sur le fait que, lors de l’audition devant le Ministère public, la prévenue était déjà soupçonnée d’avoir entravé l’action pénale en faveur de son mari. Le Tribunal fédéral rappelle que, lorsque des soupçons concernant une infraction sur laquelle porte l’enquête, ou une infraction connexe, ne peuvent être dissipés, il faut entendre la personne à interroger en tant que personne appelée à donner des renseignements (art. 178 lit. d CPP). À juste titre, l’Obergericht a ainsi retenu que le Ministère public aurait dû entendre la prévenue en tant que personne appelée à donner des renseignements, et non en tant que témoin.

Se référant à l’ATF 94 IV I, l’Obergericht a condamné la prévenue pour tentative de faux témoignage au sens de l’art. 307 CP. L’instance cantonale a retenu que la prévenue avait connaissance de son obligation de répondre conformément à la vérité lors de l’audition : alors même que le Ministère public l’avait avertie de la punissabilité d’un faux témoignage, elle a fait une fausse déposition.

Le Tribunal fédéral estime néanmoins que l’arrêt précité n’est pas propre à fonder la punissabilité de la prévenue. En effet, cet arrêt retient que, en cas de déclarations (de témoins) non valables, il n’y a objectivement pas de témoignage. Une condamnation pour faux témoignage (art. 307 CP) est de ce fait exclue. De plus, la commission d’une infraction par une personne qui ne revêt pas la qualité légale requise est pénalement insignifiante, ce qui empêche également l’application des dispositions relatives aux tentatives.

La doctrine majoritaire soutient aussi cet avis : seule la violation d’obligations réelles, et non de simples devoirs fictifs, est illégale. Lorsque l’auteur ne revêt pas la qualité requise, il existe bien une interdiction pénale aux yeux de celui-ci, mais l’auteur n’appartient pas aux personnes auxquelles cette interdiction s’adresse.

Selon le Tribunal fédéral, il n’y a aucun doute sur le fait que, dans le cadre d’un délit propre pur, un auteur n’est pas punissable s’il croit à tort enfreindre un devoir spécial lui incombant uniquement en raison du statut personnel qu’il pense faussement revêtir.

L’infraction de faux témoignage (art. 307 CP) compte parmi ces délits propres purs. En l’occurrence, le devoir pertinent est celui de dire la vérité. C’est le statut de témoin de l’auteur qui fonde cette obligation. Contrairement au cas tranché par l’ATF 94 IV 1, le délit impossible ne résulte en l’espèce pas d’un objet de l’infraction ou d’un moyen impossible, mais d’un auteur impossible. Au moment de sa déclaration, la prévenue n’était pas un témoin, mais une personne appelée à donner des renseignements. Par conséquent, elle n’a pas pu violer, y compris à titre de tentative, une obligation de dire la vérité qui ne lui incombait pas. Peu importe que le Ministère public ait factuellement traité la prévenue comme une témoin et que celle-ci ait cru revêtir cette qualité. La fausse représentation de la situation qui a pu en découler chez la prévenue est insignifiante du point de vue pénal. L’Obergericht a donc violé le droit fédéral en concluant à une tentative de faux témoignage (art. 307 CP).

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours sur ce point acquitte la prévenue du chef de faux témoignage.

Note

Dans cet arrêt le Tribunal fédéral examine aussi la condamnation de la prévenue pour tentative d’entrave à l’action pénale (art. 305 al. 1 CP), à propos de laquelle la prévenue fait valoir l’existence d’un motif d’exonération au sens de l’art. 305 al. 2 CP, à savoir la proximité avec son époux et le fait que ses déclarations favorables sont en lien direct avec le brigandage subi.

Selon l’art. 305 al. 2 CP, le juge peut exempter le délinquant de toute peine si les relations de celui-ci avec la personne par lui favorisée sont assez étroites pour rendre sa conduite excusable. Il ne s’agit que d’une possibilité dont l’application relève du pouvoir d’appréciation du tribunal. Ce dernier peut également envisager une simple atténuation de peine.

En raison de ce pouvoir d’appréciation, le Tribunal fédéral n’intervient qu’avec retenue. Le facteur décisif est celui de savoir si l’infraction est humainement compréhensible, voire, dans certaines circonstances, moralement justifiable.

L’Obergericht a estimé que tel n’était pas le cas. Pour déterminer la peine, il a tenu compte de la proximité de la prévenue avec son époux et du fait que la prévenue a subi de fortes pressions de la part de son mari. Au regard de ces éléments, l’instance cantonale a qualifié la culpabilité de la prévenue de « très faible ».

Aux yeux du Tribunal fédéral, l’Obergericht  n’a pas enfreint son pouvoir d’appréciation. Partant, la condamnation pour tentative d’entrave à l’action pénale au sens de l’art. 305 CP n’est pas contraire au droit fédéral.

Proposition de citation : Elena Turrini, Le faux témoignage d’une personne entendue à tort en qualité de témoin (art. 307 CP), in : www.lawinside.ch/1088/