L’héritier lésé constitué partie plaignante
ATF 141 IV 380 | TF, 03.09.2015, 6B_1198/2014*
Faits
Un héritier dépose une plainte pénale contre sa sœur cohéritière au motif que celle-ci aurait prélevé plusieurs milliers de francs d’un compte en Suisse suite à la mort de leur mère au Portugal. Elle aurait ainsi lésé la communauté héréditaire, composée de trois enfants. Le ministère public rend une ordonnance de non-entrée en matière. Suite à un recours déclaré irrecevable par l’instance cantonale pour défaut de légitimation à recourir, l’héritier saisit le Tribunal fédéral.
Il se pose en particulier la question de savoir si l’héritier est directement lésé par les actes de sa sœur cohéritière, sans quoi il ne peut se constituer partie plaignante et participer à la procédure.
Droit
Pour l’essentiel, l’instance cantonale a retenu que l’héritier aurait dû agir en justice ensemble avec tous les membres de la communauté héréditaire. Une exception à cette règle existerait dans le seul cas où un héritier dénonce le comportement délictueux de tous les autres membres de la communauté héréditaire.
Le lésé est toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). La jurisprudence requiert que le lésé soit titulaire du bien juridique protégé par la norme pénale violée. Dans la mesure où une communauté héréditaire ne peut pas être titulaire de droits et obligations, la qualité de lésé revient à ses membres. En ce sens, la situation d’un héritier ou d’un membre d’une société simple n’est pas comparable à celle d’un actionnaire, la société anonyme étant elle-même titulaire du bien juridique protégé (le capital social), donc seule lésée.
On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Une plainte pénale équivaut à une telle déclaration (art. 118 al. 2 CPP). Le Tribunal fédéral a déjà retenu que la légitimité pour déposer une plainte pénale (art. 30 CP) revient à chaque héritier individuellement ; il s’agit d’un droit hautement personnel, par lequel le lésé manifeste sa volonté à ce que le prévenu soit poursuivi pénalement par l’Etat. Les droits et obligations des autres membres de la communauté n’étant nullement touchés par le dépôt d’une telle plainte, la solution est conforme aux buts poursuivis par l’exigence d’agir en concertation (pour la communauté héréditaire cf. art. 602 al. 2 et 653 CC).
Il s’en suit, dans le cas particulier, que l’héritier directement lésé (art. 115 al. 1 CPP) était en droit de se constituer partie plaignante en déposant seul une plainte pénale contre sa sœur cohéritière (art. 118 al. 1 et 2 CPP). Il était ainsi également légitimé à recourir contre l’ordonnance de non-entrée en matière (art. 104 al. 1 let. b CPP cum art. 310 al. 2 et art. 322 al. 2 CPP), c’est pourquoi le recours est admis.
Note
Le Tribunal fédéral relève qu’en instance cantonale, le lésé, qui se constitue partie plaignante en sa seule qualité de demandeur pénal, est légitimé à recourir contre un acquittement ou une non-entrée en matière même s’il ne fait valoir aucune créance civile.
Par contre, la créance pour acte illicite dont disposera l’héritier en l’espèce, si la procédure pénale devait aboutir avec la condamnation de sa sœur, ne pourra être réclamée que par l’ensemble de tous les membres de la communauté héréditaire (consorité nécessaire active).
Proposition de citation : Simone Schürch, L’héritier lésé constitué partie plaignante, in : www.lawinside.ch/114/