L’achat de parcelles en zone agricole pour protéger le hibou petit-duc

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ATF 147 II 385 | TF, 27.10.2021, 2C_1069/2020*

Un « objet » au sens de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR n’a besoin ni d’être digne de protection ni situé en zone protégée pour constituer une exception au principe de l’exploitation personnelle. Il suffit qu’il soit un objet relevant de la protection de la nature. Une espèce animale menacée ainsi que son biotope sont des objets qui relèvent de la protection de la nature au sens de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR.

Faits

La station ornithologique suisse de Sempach se voit adjuger aux enchères dix-huit parcelles sur une commune valaisanne, en majeure partie en zone agricole. L’objectif de l’achat est de protéger et conserver le hibou petit-duc ainsi que le biotope dans lequel il évolue. Deux des parcelles sont soumises à une autorisation d’acquérir au sens de l’art. 61 LDFR en raison de leur surface supérieure à 2’500 m2. Tant le chef du Service juridique des affaires économiques que le Conseil d’Etat du canton du Valais rejettent la demande d’autorisation d’acquérir. Le Tribunal cantonal du Valais admet le recours de la station ornithologique et invite le Service à délivrer l’autorisation d’acquérir. L’Office fédéral de la justice recourt au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’acquérir lorsqu’un immeuble agricole n’est pas exploité à titre personnel.

Droit

L’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est soumise à autorisation, laquelle est en général refusée lorsque l’acquéreur n’exploite pas à titre personnel (art. 63 al. 1 let. a LDFR). Toutefois, il existe des exceptions à ce principe car de justes motifs peuvent justifier une autorisation. En particulier, sous l’intitulé marginal “Exceptions au principe de l’exploitation à titre personnel”, l’art. 64 al. 1 let. e LDFR prévoit qu’une autorisation est accordée lorsque l’acquisition permet de conserver un site, une construction ou une installation d’intérêt historique digne de protection, ou un objet relevant de la protection de la nature. Le Tribunal fédéral doit ainsi interpréter l’art. 64 al. 1 let. e LDFR et plus précisément définir ce que l’on doit comprendre par “objet relevant de la protection de la nature”.

Au terme d’une interprétation littérale, le Tribunal fédéral conclut que l’objet relevant de la protection de la nature (art. 64 al. 1 let. e LDFR in fine) ne doit pas nécessairement être digne de protection (art. 64 al. 1 let. e LDFR ). En effet, le complément d’objet “digne de protection” est relatif au “site”, à la “construction ou l’installation d’intérêt historique”, mais pas à l’”objet relevant de la protection de la nature”. De plus, eu égard à la systématique de l’art. 64 al. 1 LDFR, l’immeuble à acquérir ne doit pas être situé en zone à protéger pour bénéficier de la protection de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR (contrairement à l’art. 64 al. 1 let. d LDFR).

Le Tribunal fédéral rappelle que lorsqu’un cas d’exception existe selon l’art. 64 al. 1 let. a-g LDFR, il faut accorder l’autorisation, sans qu’il y ait de marge de manœuvre pour l’autorité. Aucune pesée des intérêts ne doit être effectuée avant d’accorder une autorisation. Au demeurant, l’objectif de protection de la nature n’est pas incompatible avec l’exploitation des parcelles agricoles et ne nie pas leur caractère agricole. Simplement, certaines règles devront être observées lors de l’exploitation.

Le Tribunal fédéral doit encore définir si un animal comme le hibou petit-duc peut être qualifié d'”objet relevant de la protection de la nature” au sens de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR. Il procède par un raisonnement en deux étapes.

  • Premièrement, aussi bien la LPN que la LcPN/VS ont pour but la protection de la faune, de la flore et de leurs habitats respectifs. Ainsi, il apparaît évident que tant le hibou petit-duc que le biotope dans lequel il évolue doivent être qualifiés d’« objets » pouvant relever de la protection de la nature au sens de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR.
  • Secondement, il faut examiner si la défense du hibou petit-duc relève de la protection de la nature. Le Tribunal fédéral souligne que le hibou petit-duc est protégé selon l’art. 7 al. 1 LChP. De plus, l’oiseau se trouve sur la liste rouge des oiseaux nicheurs et y est qualifié d’espèce en danger. Le fait que la situation du hibou petit-duc se soit améliorée (il était précédemment en voie d’extinction) n’y change rien. La protection particulière d’une espèce menacée relève de la protection plus globale de la nature.

Par voie de conséquence, l’achat des parcelles afin de permettre au hibou petit-duc d’y prospérer rentre dans le champ d’application de l’art. 64 al. 1 let. e LDFR et l’autorisation a été délivrée à juste titre.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, L’achat de parcelles en zone agricole pour protéger le hibou petit-duc, in : www.lawinside.ch/1147/