Transfert de patrimoine durant une procédure pénale : la société reprenante est-elle partie plaignante ?
Le transfert des actifs et passifs au sens des art. 69 ss LFus ne confère pas (per se) à la société reprenante la qualité de partie plaignante (art. 118 al. 1 CPP), cette société n’étant qu’indirectement lésée.
Conformément à la jurisprudence, un pareil transfert découle de la volonté des parties. Dès lors, on ne saurait octroyer à la société reprenante la qualité de partie plaignante en vertu de l’art. 121 al. 2 CPP, qui ne règle que les effets du transfert de par la loi de droits déterminés à des personnes qui ne sont pas elles-mêmes des lésées. Aucun motif ne justifie un changement de jurisprudence.
Faits
À la suite d’une plainte pénale déposée par une fondation, le Ministère public central vaudois ouvre une instruction pénale à l’encontre de l’ancien secrétaire général de cette fondation pour gestion déloyale, faux dans les titres et gestion déloyale des intérêts publics. Après l’ouverture de cette instruction, la fondation transfère l’intégralité de ses actifs et passifs à une société anonyme conformément aux art. 69 ss LFus.
Par ordonnance ultérieurement confirmée par le Tribunal cantonal vaudois, le Ministère public dénie alors la qualité de partie plaignante à la société anonyme.
Cette société interjette un recours au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si, lors d’un transfert de patrimoine (art. 69 ss LFus) au cours d’une procédure pénale, la société qui reprend les actifs et les passifs peut prétendre à la qualité de partie plaignante.
Droit
Conformément à l’art. 118 al. 1 CPP, la qualité de partie plaignante est reconnue au lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil. La notion de lésé se définit, quant à elle, comme toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rappelle que, en principe, seul le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale enfreinte peut se prévaloir d’une atteinte directe. Cette atteinte doit en outre être en rapport de causalité immédiate avec l’infraction poursuivie, ce qui exclut tout dommage par ricochet.
Lorsqu’une infraction est commise aux dépens du patrimoine d’une personne morale, seule cette dernière subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésée, à l’exclusion par exemple des actionnaires d’une société anonyme ou des associés d’une société à responsabilité limitée. Les successeurs d’une personne physique ou morale ne sont également qu’indirectement lésés. Sous réserve de l’art. 121 al. 1 et 2 CPP, ils ne peuvent ainsi se constituer partie plaignante. En particulier dans le cadre d’une fusion, le transfert des actifs et passifs au sens de l’art. 22 al. 1 LFus ne confère pas (per se) à la société reprenante la qualité de partie.
En l’espèce, la société n’était pas encore titulaire des biens juridiques protégés atteints par les infractions en cause au moment de leur commission. Elle n’est par conséquent qu’indirectement lésée, ce qui exclut l’octroi de la qualité originale de partie au sens de l’art. 118 al. 1 CPP en lien avec l’art. 115 al. 1 CPP.
Il reste à déterminer si l’octroi de cette qualité peut découler de l’art. 121 al. 2 CPP, qui règle les effets du transfert de par la loi de droits déterminés à des personnes qui ne sont pas elles-mêmes des lésées (subrogation légale, par opposition à un transfert volontaire au sens des art. 164 ss CO).
D’après la jurisprudence, les transmissions dans le cadre d’une fusion découlent de la volonté des parties. Il ne s’agit donc pas de subrogations légales au sens de l’art. 121 al. 2 CPP, même si elles concernent l’ensemble du patrimoine. Une partie de la doctrine a critiqué cette jurisprudence : elle considère en substance que, dès lors que la fusion entraînerait de par la loi une succession universelle, l’art. 121 al. 2 CPP serait applicable, indépendamment de la relation contractuelle sous-jacente.
Aux yeux du Tribunal fédéral, ces critiques ne motivent pas un changement de jurisprudence. Celui-ci aurait nécessité que la solution nouvelle procède d’une meilleure compréhension du but de la loi, repose sur des circonstances de fait modifiées ou réponde à l’évolution des conceptions juridiques. Or, tel n’est pas le cas. Un pareil changement se justifie d’autant moins qu’il s’agit en l’espèce, non pas d’un cas de fusion, mais d’un cas de transfert de patrimoine. Ce transfert se distingue en ce sens qu’il consiste en une succession universelle partielle : il ne porte que sur l’ensemble des actifs et passifs définis par les parties et énumérés dans l’inventaire (art. 73 al. 2 2ème phrase LFus).
Partant, même si la fondation a dans le cas d’espèce cédé la totalité des actifs et passifs à la société anonyme, il n’en reste pas moins que ce transfert et son étendue relevaient de la volonté des parties. En conséquence, c’est à raison que les autorités précédentes ont retenu que cette situation n’était pas constitutive d’une subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CPP et ont refusé d’octroyer à la société la qualité de partie plaignante en vertu de cette disposition.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Elena Turrini, Transfert de patrimoine durant une procédure pénale : la société reprenante est-elle partie plaignante ?, in : www.lawinside.ch/1153/