La portée et les limites de l’art. 20A LPA/GE

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TF, 19.10.2021, 2C_444/2021

L’art. 20A LPA/GE ne permet pas aux autorités et juridictions administratives d’ordonner aux parties de garder secrets des éléments dont elles avaient connaissance avant l’ouverture de la procédure ou de l’enquête administrative. Seuls les éléments acquis dans le cadre de ces procédures sont visés.

Faits

Deux petites filles scolarisées dans une école privée (l’Ecole) sont victimes de comportements agressifs et d’actes de violence de la part de deux camarades. Leurs parents signalent à plusieurs reprises ces faits à la direction de l’Ecole.

Par la suite, les parents interpellent le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse de la République et canton de Genève (le Département) à ce sujet, en déplorant que l’Ecole n’ait mis en place aucun suivi, ni pris aucune mesure adéquate et en sollicitant l’ouverture d’une instruction.

Le Département répond avoir été informé que l’Ecole avait entrepris un certain nombre de démarches. Sur la base des éléments qui lui ont été transmis, il estime que l’Ecole a respecté les dispositions légales et réglementaires relatives à l’enseignement privé.

Les parents contestent alors cette appréciation et demandent au Département de constater la violation par l’Ecole de ses obligations.

Par décision, le Département constate que l’Ecole n’a pas violé ses obligations.

Les parents recourent en temps utile auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice contre cette décision. Lors des échanges d’écritures, l’association qui exploite l’Ecole sollicite le prononcé d’une obligation de garder le secret à l’égard des recourants et de leur conseil s’agissant de tous les faits et éléments relatifs à la situation personnelle des enfants mis en cause, amenés dans le cadre de la procédure à compter du dépôt de la dénonciation.

La Cour de justice déclare irrecevable le recours des parents, faute de qualité pour recourir, et fait obligation aux parties de garder secret, dès le prononcé de l’arrêt, tous les éléments permettant de déterminer l’identité des mineurs, les intervenants et l’établissement concernés, sous la menace des peines prévues par l’art. 292 CP.

Saisi d’un recours des parents, le Tribunal fédéral est appelé à rappeler les règles relatives à la qualité pour recourir d’un dénonciateur et à préciser la portée de l’art. 20A de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA/GE).

Droit

A titre préliminaire, le Tribunal fédéral relève que l’arrêt entrepris déclare irrecevable le recours des parents et impose aux parties une obligation de garder le secret sous la menace des peines prévues par l’art. 292 CP. Il s’agit de deux prononcés distincts et indépendants, au regard desquels la recevabilité du recours doit dès lors être appréciée séparément. En l’espèce, elle est acquise pour les deux objets.

S’agissant du premier objet attaqué – l’irrecevabilité du recours devant la Cour de justice -, les recourants invoquent une violation de l’art. 111 cum 89 LTF.

Le Tribunal fédéral relève que les parents ont initié la procédure en rapportant au Département des situations problématiques au sein de l’Ecole et en sollicitant l’ouverture d’une instruction. Ils sont ainsi intervenus en qualité de dénonciateurs.

Cette configuration conduit le Tribunal fédéral à rappeler la jurisprudence relative à la qualité pour recourir du dénonciateur : la seule qualité de dénonciateur ne donne en principe pas le droit de recourir contre la décision prise à la suite de la dénonciation. Le dénonciateur jouit de la qualité pour recourir seulement s’il se trouve dans un rapport étroit et spécial avec la situation litigieuse et peut invoquer un intérêt digne de protection à ce que l’autorité intervienne. Cette question se résout différemment selon les matières et les circonstances concrètes. Afin d’éviter un “recours populaire”, la jurisprudence reconnaît restrictivement la qualité de partie au dénonciateur, lorsque celui-ci pourrait sauvegarder ses intérêts d’une autre manière, notamment par le biais d’une procédure pénale ou civile.

Au regard de ces principes, le Tribunal fédéral considère que les parents ne disposaient pas de la qualité pour recourir : le seul fait que la décision leur ait été adressée n’établit pas encore un rapport spécial avec la situation, laquelle ne touche pas à leurs droits et obligations. Au surplus, ils disposent d’autres moyens (contractuels voire pénaux) de préserver leurs intérêts.

Le Tribunal fédéral confirme donc le prononcé d’irrecevabilité.

En ce qui concerne le second objet du recours – l’injonction de garder secret certains éléments  -, les parents soulèvent une application arbitraire de l’art. 20A LPA/GE.

D’après cette disposition, certaines autorités administratives ainsi que les juridictions administratives peuvent obliger tous les participants à la procédure, ainsi que le conseil juridique, le mandataire professionnellement qualifié ou la personne de confiance à garder le secret sur les informations auxquelles ils ont eu accès dans le cadre de la procédure, lorsque la manifestation de la vérité ou la protection d’un autre intérêt public ou privé prépondérant l’exigent. Cette obligation se fait sous la commination de la peine prévue à l’art. 292 CP. Elle doit, en principe, être limitée dans le temps.

Le Tribunal fédéral relève que cette disposition a été adoptée afin de répondre au besoin de protection des victimes et des employés poursuivis, lors d’enquêtes administratives portant sur des harcèlements ou des abus sexuels par des enseignants envers des élèves. Son objectif est de permettre aux autorités chargées de l’enquête ou de la procédure de demander aux participants de garder le secret sur les informations acquises dans le cadre de cette procédure. Le Rapport explicatif précise que cela ne signifie pas que le mineur n’a pas le droit de raconter ce qui lui est arrivé, mais qu’il doit juste s’abstenir de révéler des informations ou des faits dont il aura eu connaissance durant la procédure.

En l’espèce, la Cour de justice a retenu que les enfants mineurs en cause avaient un intérêt à ce que tous les éléments à même de les identifier restent confidentiels et que, exceptionnellement, l’obligation de garder le secret ne devait pas être limitée dans le temps en raison de la nature des incidents dénoncés et de l’implication de mineurs. Sur cette base, elle a fait interdiction aux parties de dévoiler tous les éléments permettant de déterminer l’identité des mineurs, des intervenants et de l’établissement concernés, alors que ces identités étaient connues des parents avant qu’ils ne dénoncent l’affaire.

Cette injonction va au-delà de ce que le texte clair de l’art. 20A LPA/GE, confirmé par les travaux parlementaires, autorise. De surcroît, cette injonction se trouve en contradiction avec la motivation même de l’arrêt : la Cour de justice renvoie à juste titre les recourants à faire valoir leurs droits par le biais de procédures civiles ou pénales et non par la voie de la dénonciation. Elle les prive toutefois de la possibilité de le faire en leur interdisant de révéler les identités des personnes contre lesquelles ces procédures devraient être ouvertes.

Aux yeux du Tribunal fédéral, ce raisonnement est arbitraire tant dans sa motivation que dans son résultat. En conséquence, le recours est admis sur ce point et l’injonction de garder le secret annulée.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La portée et les limites de l’art. 20A LPA/GE, in : www.lawinside.ch/1154/