L’aide sociale aux détenteurs de permis L

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ATF 141 V 688 | TF, 22.10.2015, 8C_897/2014*

Faits

Un ressortissant étranger s’établit en Suisse et bénéfice d’une autorisation de séjour UE/AELE de type L, permis qui est délivré aux travailleurs de l’Union européenne qui souhaitent s’installer en Suisse pour une durée inférieure à un an, dans le cadre d’un contrat de travail ou non. Il effectue une brève mission temporaire, mais est sans emploi pour le surplus. Il requiert l’aide sociale dans sa commune, ce qu’elle lui refuse au motif qu’il ne possède qu’un permis L et ne travaille pas. L’aide d’urgence lui est en revanche accordée. Cette décision est confirmée pour l’essentiel par les autorités cantonales de recours.

Saisi de la cause, le Tribunal fédéral doit déterminer si et le cas échéant à quelles conditions il est admissible d’exclure les détenteurs de permis L de l’aide sociale ordinaire.

Droit

L’aide sociale relève pour l’essentiel de la compétence cantonale. Étant un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, le recourant peut en outre se prévaloir de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération Suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des personnes (l’ALCP).

L’ALCP autorise la Suisse à exclure certaines catégories de personnes de l’aide sociale, y compris les titulaires de permis L (art. 6 par. 2 Annexe I ALCP). Un travailleur salarié en situation de chômage involontaire dûment constaté par le bureau de main-d’œuvre compétent a en revanche droit à l’aide sociale ordinaire, l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP permettant à un tel chômeur de conserver les droits découlant de son ancienne qualité de travailleur.

Le recourant, au bénéfice d’une autorisation de séjour de type L, n’a pas exercé d’activité lucrative durable en Suisse, pas plus qu’il n’a de perspectives réelles d’engagement. Partant, il ne se trouve pas dans une situation de chômage telle que décrite à l’art. 6 par 6. Annexe I ALCP. A priori, il peut donc être exclu de l’aide sociale ordinaire conformément à l’ALCP ainsi qu’au règlement cantonal applicable.

Le recourant prétend toutefois que le règlement cantonal ne constitue pas une base légale suffisante pour exclure les titulaires d’un permis L du bénéfice de l’aide sociale ordinaire, au regard du droit constitutionnel à l’égalité de traitement (cf. art. 5 et 36 Cst. féd.)

En matière d’aide sociale, la diversité des situations envisageables fait obstacle à une haute densité normative, ce pourquoi les lois (au sens formel) cantonales ne contiennent fréquemment que des principes généraux et délèguent l’adoption de règles plus précises aux autorités exécutives ou renvoient aux directives de la Conférence suisse des institutions d’action sociale. La disposition litigieuse du règlement cantonal repose pour sa part sur une délégation législative contenue dans la loi au sens formel. Elle transpose en droit cantonal l’art. 6 par 2 Annexe I ALCP. Elle correspond au demeurant à la conception selon laquelle les personnes visées ne doivent pas devenir une charge déraisonnable pour le système social du pays d’accueil, largement répandue tant sur le plan international qu’en Suisse. Au regard de ce qui précède, une base légale formelle plus précise n’est pas nécessaire pour exclure de l’aide sociale les titulaires de permis L n’ayant jamais travaillé durablement en Suisse.

Partant, l’aide sociale pouvait être refusée au recourant, dont le recours est rejeté.

Note

De lege lata, il n’est pas clair si les cantons dont le droit n’exclut pas expressément l’aide sociale pour les titulaires de permis L sans emploi peuvent néanmoins concrètement refuser l’aide sociale ordinaire à ceux-ci, sur la base de l’ALCP. Le Conseil fédéral envisage dès lors de proposer une modification de la LEtr afin d’obliger les cantons à exclure expressément de telles personnes de l’aide sociale ordinaire.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’aide sociale aux détenteurs de permis L, in : www.lawinside.ch/117/