La formule officielle et le contrat de bail sont-ils des titres au sens de l’art. 251 CP ?

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ATF 148 IV 288 | TF, 02.06.2022, 6B_1270/2021*

La formule officielle destinée à communiquer au locataire les hausses de loyer (cf. art. 269d al. 1 CO cum art. 19 OBLF) est un titre au sens de l’art. 251 CP. En revanche, tel n’est pas le cas d’un contrat de bail, à tout le moins lorsque seule l’identité des précédents locataires y est indiquée de manière fausse.

Faits

En 2020, un avocat est condamné par le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève pour faux dans les titres (cf. art. 251 CP) dans le cadre la gestion d’un immeuble sis à Lausanne, dont la propriété appartenait à une société qu’il contrôlait personnellement.

En substance, il lui est reproché d’avoir indiqué des montants fictifs à titre d’anciens loyers et charges ainsi que des noms fictifs d’anciens locataires lors de l’établissement de nouveaux contrats de bail. Ces informations étaient inscrites sur la formule officielle destinée à communiquer au locataire les hausses de loyer (cf. art. 269d CO cum art. 19 OBLF), ainsi que dans le nouveau contrat de bail. Cette démarche avait pour but d’éviter une contestation initiale du loyer par le nouveau locataire entrant et d’en permettre une augmentation massive et injustifiée.

La Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise rejette l’appel formé par l’avocat à l’encontre de la décision du Tribunal correctionnel.

L’avocat exerce alors un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la formule officielle prévue par l’art. 19 OBLF ainsi que le contrat de bail sont des titres au sens de l’art. 251 cum art. 110 ch. 4 CP.

Droit

Le faux dans les titres au sens de l’art. 251 ch. 1 CP est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (cf. art. 110 ch. 4 CP).

Selon la jurisprudence, l’art. 251 ch. 1 CP vise notamment le faux intellectuel, à savoir un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le convenu ne correspond pas à la réalité. Pour être qualifié comme tel, le document doit toutefois revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration. Il peut s’agir, par exemple, d’un devoir de vérification qui incombe à l’auteur du document ou de l’existence de dispositions légales qui définissent le contenu du document en question.

Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que la comptabilité commerciale et ses éléments bénéficiaient d’une crédibilité accrue eu égard au fait que la loi prescrit de façon précise leur établissement, leur contenu et la méthode à suivre pour les établir (cf. en particulier art. 957 ss CO). Tel est également le cas d’un formulaire « A » (identification de l’ayant droit économique), dont l’établissement est imposé dans certaines circonstances par la législation sur la lutte contre le blanchiment d’argent (cf. art. 4 LBA).

En revanche, un contrat dont le contenu est faux n’est en principe pas un titre bénéficiant d’une crédibilité accrue, dès lors qu’il n’est pas apte à prouver que les manifestations de volonté des cocontractants correspondent à leur volonté réelle. Ce n’est que s’il existe des garanties spéciales à cet égard que le contrat peut être qualifié de faux intellectuel.

En l’espèce, le Tribunal fédéral commence par examiner si la formule officielle visée à l’art. 269d al. 1 CO revêt la qualité de titre au sens de l’art. 251 CP. À cet égard, il retient que l’emploi de la formule officielle est obligatoire dans le canton de Vaud pour certaines communes et son contenu strictement réglementé par la législation, qui poursuit dans ce domaine un objectif de protection du locataire. Ce document a donc indéniablement une crédibilité accrue pour le locataire, qui doit pouvoir se fier aux indications qu’il contient au moment d’envisager une contestation du loyer initial. C’est ainsi à bon droit que les instances cantonales ont considéré que la formule officielle prévue par la législation en matière de droit du bail constituait un titre au sens de l’art. 251 cum art. 110 ch. 4 CP. La condamnation de l’avocat pour faux dans les titres doit, partant, être confirmée.

Le Tribunal fédéral considère en revanche que la condamnation de l’avocat pour faux dans les titres doit être annulée en tant qu’elle repose uniquement sur le fait d’avoir reporté des noms fictifs de précédents locataires sur les contrats de bail. En effet, la mention de l’identité du précédent locataire n’est pas exigée par une quelconque disposition légale ou contractuelle. Il n’est pas non plus établi que la volonté des nouveaux locataires aurait été viciée par l’indication fausse du nom des précédents locataires. Dans ces circonstances, le contrat de bail ne bénéficie pas d’une crédibilité accrue au sens de la jurisprudence précitée. Dans cette (faible) mesure, le grief du recourant doit dès lors être accueilli.

Partant, le recours est partiellement admis et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Note

Le Tribunal fédéral laisse la question ouverte de savoir si l’indication fausse sur le contrat de bail du montant des loyers payés par les précédents locataires confère audit contrat de bail la qualité de titre au sens de l’art. 251 CP. En effet, le jugement attaqué ne reprochait pas spécifiquement au recourant d’avoir fait état de loyers fictifs dans les contrats de baux.

 

Proposition de citation : Marc Grezella, La formule officielle et le contrat de bail sont-ils des titres au sens de l’art. 251 CP  ?, in : www.lawinside.ch/1220/