La prolongation d’une mesure de surveillance secrète

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ATF 149 IV 35 | TF, 29.11.2022, 1B_282/2022*

En matière de mesures de surveillance secrètes, le ministère public doit déposer une demande de prolongation motivée avant l’expiration de la durée autorisée (art. 274 al. 5 CPP). Lorsqu’une demande de prolongation est déposée tardivement, les données enregistrées entre la fin de la durée de surveillance autorisée par le tribunal des mesures de contrainte et la réception de la demande de prolongation par le tribunal des mesures de contrainte sont inexploitables. 

Faits

En automne 2017, le Ministère public du canton de Genève ouvre une instruction contre quatre membres d’une même famille pour soupçon de traite d’êtres humains (art. 182 CP). Il leur est reproché d’exploiter leur personnel de maison.

Afin d’évaluer les conditions de traitement du personnel, le Ministère public ordonne la pose de caméras à l’extérieur de l’habitation, de telle façon que les allées et venues des employés ainsi que leur liberté de mouvement puissent être observées (art. 280 let. b CPP).

Par ordonnance du 17 novembre 2017, le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) autorise cette mesure technique de surveillance secrète jusqu’au 20 février 2018.

Le 21 février 2018, soit un jour après l’expiration de la durée autorisée par le TMC, le Ministère public requiert une nouvelle fois la prolongation de la mesure secrète. Le lendemain, le TMC autorise la mesure avec effet rétroactif au 21 février 2018 à 00h01.

Par la suite, la mesure technique de surveillance secrète est prolongée à plusieurs reprises jusqu’à ce que le Ministère public révèle aux prévenus son existence et ses modalités. Les prévenus requièrent la mise sous scellés des images enregistrées et forment un recours contre la mesure technique de surveillance secrète.

Saisie de ce recours, la Cour de justice genevoise annule plusieurs ordonnances du TMC, constate l’illicéité de la mesure durant une certaine période, et ordonne la destruction immédiate des supports d’images portant sur cette période.

Les prévenus font recours contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à déterminer si la demande de prolongation du Ministère public du 21 février 2018, déposée un jour après l’expiration de la première mesure technique de surveillance autorisée, est tardive.

Droit

Constatant que la mesure technique de surveillance secrète satisfait aux conditions matérielles de l’art. 269 CPP (applicable par renvoi de l’art. 281 al. 4 CPP), le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si la demande de prolongation du Ministère public du 21 février 2018 est tardive. Celle-ci a été déposée un jour après l’expiration de la première mesure technique de surveillance autorisée, étant précisé que le TMC a confirmé la réalisation des conditions matérielles de la surveillance à prolonger le lendemain.

En vertu de l’art. 274 al. 1 CPP, le ministère public transmet dans les 24 heures les renseignements nécessaires au tribunal des mesures de contrainte en vue d’une éventuelle autorisation de surveillance. Le Tribunal fédéral rappelle qu’il s’agit d’un délai d’ordre dont la violation peu importante ne conduit pas à l’irrecevabilité de la demande. Il en va de même pour le délai de cinq jours imparti au TMC pour statuer.

La procédure de prolongation (art. 274 al. 5 CPP) est en soi similaire à celle relative à l’autorisation initiale.

L’art. 274 al. 5 CPP prévoit notamment que le tribunal des mesures de contrainte octroie l’autorisation d’une mesure de surveillance secrète pour trois mois au plus. Dès lors que le décompte de ce délai de trois mois s’effectue à la minute près, le ministère public doit former sa requête de prolongation avant l’expiration de la durée de la mesure autorisée.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère cependant que la tardiveté de la demande de prolongation ne saurait nécessairement conduire à l’illicéité de l’ensemble de la mesure de surveillance autorisée.

Cela vaut d’autant plus que le retard reproché au Ministère public n’est que d’un jour et que la mesure a déjà été autorisée une première fois. Par ailleurs, le TMC a rendu sa décision immédiatement après la réception de la demande de prolongation du Ministère public.

Toutefois, selon le Tribunal fédéral, en présence d’une demande de prolongation formée tardivement par le ministère public, l’ordonnance du TMC ne peut pas couvrir la surveillance opérée entre le terme précédent et le jour où est reçue cette requête. En revanche, le TMC peut autoriser la surveillance secrète avec effet au jour de réception de cette demande de prolongation.

En d’autres termes, il appartient au ministère public, le cas échéant, d’assumer les conséquences d’un éventuel défaut d’autorisation de la surveillance pour une certaine période.

En conclusion, la mesure technique de surveillance secrète a été valablement prolongée pour la période du 22 février au 12 avril 2018 par l’ordonnance du TMC du 22 février 2018. En revanche, la surveillance opérée le 21 février 2018 n’a été autorisée par aucune décision ; elle est dès lors illicite et les données enregistrées ce jour-là doivent être immédiatement détruites.

Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours, annule l’arrêt attaqué et ordonne la destruction des moyens de preuve récoltés le 21 février 2018.

Note

Dans cette affaire, les prévenus ont également contesté l’origine des soupçons suffisants ayant conduit à la mise en œuvre de la mesure de surveillance secrète, soit un rapport de police se fondant sur une source anonyme.

Selon le Tribunal fédéral, une telle manière de procéder est conforme à la jurisprudence relative à l’art. 269 CPP, d’autant plus lorsque l’enquête vient de débuter. En outre, les informations obtenues de la source pouvaient sembler plausibles dans le cas d’espèce, puisque les prévenus avaient déjà été entendus en lien avec des faits similaires quelques années plus tôt. Le Tribunal fédéral a par ailleurs souligné la gravité de l’infraction reprochée (traite d’êtres humains) ainsi que la constellation particulière du cas d’espèce, soit une famille disposant d’importants moyens face à des employés de maison étrangers a priori totalement dépendants et sans autre ressource. Dans ces circonstances, il n’était pas exclu que les employés aient pu craindre des représailles soit en particulier la perte de leur emploi -, ce qui pouvait ainsi expliquer le défaut d’indication de l’identité des sources.

Par conséquent, la police était en droit de se référer à une source anonyme pour rendre vraisemblable l’existence de soupçons suffisants.

Proposition de citation : Ariane Legler, La prolongation d’une mesure de surveillance secrète, in : www.lawinside.ch/1279/