La restriction de la liberté des médias dans une procédure pénale

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ATF 141 I 211 | TF, 06.11.2015, 1B_169/2015*

Faits

Lors d’une procédure pénale, un juge unique prononce une décision qui impose aux chroniqueurs judiciaires de préserver l’anonymat du prévenu, en interdisant notamment de publier son nom, des photos le concernant, son âge et son domicile. La violation de la décision est sanctionnée par une amende d’ordre de 1000 francs.

Contre cette décision, un chroniqueur judiciaire recourt à l’Obergericht du canton de Zurich qui admet partiellement le recours.

Le chroniqueur judiciaire interjette un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral qui doit se prononcer sur la question de savoir si la décision du juge unique repose sur une base légale.

Droit

La liberté des médias est garantie (art. 17 Cst.). La décision du juge unique interdisant au chroniqueur judiciaire de publier des informations sur le prévenu est une ingérence dans la liberté des médias, dont la restriction nécessite une base légale (art. 36 Cst.). Une restriction grave doit reposer sur une base légale claire et précise résultant d’une loi au sens formel.

L’art. 69 CPP concrétise l’art. 30 al. 3 Cst. et consacre le principe de la publicité des débats. Du fait que les citoyens ne peuvent assister de manière permanente aux débats, c’est aux médias de les retranscrire dans leurs chroniques judiciaires afin de rendre la justice transparente au public. Le tribunal peut restreindre la publicité de l’audience sur la base de l’art. 70 al. 1 CPP à certaines conditions. Cependant, il est possible selon l’art. 70 al. 3 CPP d’autoriser les chroniqueurs judiciaires à assister à des débats à huis clos au sens de l’art. 70 al. 1 CPP. Ainsi, les chroniqueurs judiciaires sont privilégiés par rapport au public.

En l’occurrence, les débats qui se déroulaient devant le juge unique étaient publics. Or, l’interdiction prononcée par le juge unique de révéler des informations sur le prévenu ne concernait que les chroniqueurs judiciaires, et non l’ensemble du public. Ainsi, les chroniqueurs judiciaires étaient placés dans une situation moins favorable que celle de l’ensemble du public. Une telle situation est contraire au principe selon lequel les chroniqueurs judiciaires doivent être privilégiés face au public. Selon le Tribunal fédéral, il en découle une restriction grave à la liberté des médias. La sanction prévue de 1000 francs dans la décision du juge unique est d’autant plus grave.

Par conséquent, il faut une base légale claire et précise prévue dans une loi au sens formelle pour justifier la restriction du droit fondamental (art. 36 al. 1 Cst.).

En l’occurrence, une telle base légale fait défaut dans le CPP. L’art. 72 CPP permet aux cantons d’édicter des règles concernant les chroniqueurs judiciaires. Or, la loi cantonale zurichoise sur l’organisation judiciaire et l’ordonnance zurichoise sur la consultation des dossiers ne prévoient aucune base légale suffisante pour restreindre la liberté des médias.

Partant, la restriction de la liberté des médias du chroniqueur judiciaire est illicite et son recours est admis.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La restriction de la liberté des médias dans une procédure pénale, in : www.lawinside.ch/129/