La restriction d’accès aux activités d’enseignement et de recherche en temps de COVID-19

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ATF 149 I 191 | TF, 31.03.23, 2C_810/2021*

Un enseignement de qualité dans les hautes écoles et universités dépend d’une offre de cours en présentiel. La réglementation qui exige un certificat COVID-19 pour accéder aux activités d’enseignement et de recherche est disproportionnée lorsqu’elle ne prévoit pas de prise en charge financière des tests.

Faits

Le 14 septembre 2021, le Conseil d’Etat du canton de Fribourg adopte l’ordonnance sur la restriction d’accès aux hautes écoles aux personnes disposant d’un certificat COVID-19 (Ordonnance sur la restriction d’accès/FR, ci-après l’Ordonnance). Le texte prévoit diverses mesures pour endiguer l’épidémie de COVID-19, notamment que seules les personnes titulaires d’un certificat COVID peuvent accéder aux activités d’enseignement et de recherche dans les hautes écoles (art. 2 de l’Ordonnance).

Plusieurs personnes forment recours en matière de droit public contre l’acte normatif. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à se prononcer sur la légalité de la restriction du droit d’accès aux hautes écoles durant l’épidémie COVID-19.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par relever que l’Ordonnance querellée a été abrogée le 22 février 2022. Dès lors, les recourants ne disposent plus d’un intérêt actuel digne de protection à l’annulation de la disposition (art. 89 al. 1 let. c LTF). De manière exceptionnelle, on peut renoncer à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque la contestation risque de se représenter dans des circonstances analogues, que la nature de la cause la rend difficile à trancher avant qu’elle ne perde son actualité et qu’elle concerne une question de principe.

En l’espèce, le Tribunal fédéral ne s’est jamais prononcé sur l’exigence du certificat COVID dans les hautes écoles et universités ; il s’agit d’une question de principe. Ensuite, d’autres vagues d’épidémie – voire de variants du COVID-19 – sont envisageables à l’avenir. Enfin, les législations d’urgence ne permettent pas d’une manière générale un contrôle juridictionnel en temps utile. Pour ces raisons, le Tribunal fédéral renonce à l’exigence d’un intérêt actuel et admet la qualité pour agir des recourants.

Au moment du dépôt du recours, l’on pouvait obtenir un certificat COVID de trois manières : la vaccination, la guérison ou les tests (PCR ou test rapide d’un professionnel). Or, tant la vaccination que les tests par frottis nasopharyngés ou salivaires constituent des atteintes à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la garantie de la sphère privée (art. 8 par. 1 CEDH cum 10 al. 2 et 13 al. 1 Cst.). Le consentement du patient ne modifie pas cette conclusion lorsque ce dernier subit les conséquences directes de son refus ; or, faute d’être vacciné ou testé, l’étudiant ne pouvait pas assister aux cours. Le Conseil d’État fribourgeois relève que les étudiants pouvaient suivre leurs cours à distance ; à son avis, cette manière de faire n’occasionne aucun désagrément pour les étudiants et ne constitue dès lors pas une atteinte à leurs libertés.

Le Tribunal fédéral ne suit pas cet argumentaire. Un enseignement de qualité dépend directement d’un enseignement en présentiel, en tant qu’il permet aux étudiants d’acquérir certaines compétences, de maintenir leurs contacts sociaux et que certaines activités ne peuvent pas être proposées à l’occasion d’un enseignement à distance. Par conséquent, l’obligation de présenter un certificat COVID-19 constitue une atteinte à la liberté personnelle et à la garantie de la sphère privée. Reste à examiner si cette restriction remplit les conditions de l’art. 36 Cst.

Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a déjà constaté à plusieurs reprises que l’art. 40 LEp constitue une base légale suffisante au sens de l’art. 36 al. 1 Cst. pour lutter contre le COVID-19 (ATF 148 I 33, consid. 5.4 ; 147 I 393, consid. 5.1.2 ; 147 I 478, consid. 3.2.2). De plus, l’obligation de présenter un certificat COVID pour accéder aux cours présentiels vise à endiguer la propagation du virus ; elle remplit ainsi un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.).

Du point de vue de la proportionnalité, un test négatif au COVID-19 atténue drastiquement les chances de transmettre le virus. La situation sanitaire, au moment du dépôt du recours, était relativement tendue, car peu de lits étaient disponibles dans les soins intensifs. De plus, l’arrivée de l’automne allait entraîner une propagation accrue du virus ; des mesures étaient d’autant plus nécessaires. Ainsi, l’obligation d’un certificat COVID-19 était apte et nécessaire à éviter que le virus se propage.

Concernant la proportionnalité au sens étroit, deux éléments sont à relever. Premièrement, l’étudiant qui souhaite participer aux cours sans se vacciner doit se soumettre à des tests répétés, environ deux fois par semaine. Cette obligation occasionne des contraintes pour les étudiants, tant au niveau physique qu’organisationnel. Secondement, à partir du 11 octobre 2021, plus aucun test n’était pris en charge par la Confédération. La charge financière revenait pour l’essentiel aux étudiants.

Le Tribunal fédéral souligne qu’on pouvait, au vu de la situation sanitaire, attendre des étudiants qu’ils acceptent les désagréments liés à des tests répétés afin de limiter la propagation du virus et permettre la tenue de cours en présentiel. En revanche, il est disproportionné d’imposer une charge financière d’environ CHF 840.- par semestre pour se faire tester, d’autant plus en l’absence de système d’aide afin d’atténuer les coûts. Cela condamnerait les étudiants les plus défavorisés à suivre les cours à distance ou à se vacciner, atteinte plus grave que les tests à répétition. Il appartenait au canton de proposer dans la législation une mesure pour supporter le coût des tests, par exemple en proposant des tests salivaires gratuits.

Partant, le recours est admis et l’art. 2 de l’Ordonnance est déclaré contraire à la Constitution.

Note

Le présent arrêt appelle plusieurs remarques de notre part.

  1. La place de l’enseignement en présentiel et à distance

Le Tribunal fédéral a tranché dans sa jurisprudence que le droit constitutionnel à un enseignement de base (art. 19 Cst.) impliquait un enseignement scolaire en présentiel (ATF 148 I 89, consid. 7.3 ; TF, 16.02.2023, 2C_99/2022, consid. 6 ; TF, 08.06.2022, 2C_395/2019, consid. 2 et 3, résumé in LawInside.ch/932). Le Tribunal fédéral affirme dans le présent arrêt la nécessité pour les hautes écoles et universités d’offrir des cours en présentiel.

Par le passé, le Tribunal administratif fédéral s’est penché, dans le cadre de recours sur la reconnaissance de diplômes, sur l’équivalence d’une formation à distance à l’étranger avec un cursus en présentiel en Suisse. Il retient que le simple fait que la formation ait été suivie à distance ne suffisait pas à justifier le refus de la reconnaissance. Même si des indices peuvent laisser entendre que la formation à distance n’offre pas une qualité équivalente aux formations en présentiel en Suisse, l’autorité de reconnaissance des diplômes doit prouver qu’une telle différence existe (TAF, 24.11.2014, B-166/2014, consid. 6.4 ; ATAF 2012/29, consid. 5.4). Tel est par exemple le cas s’agissant d’un master à distance en psychologie : alors que l’enseignement théorique de la matière peut s’effectuer tant à distance qu’en présentiel, certains approfondissements de la matière doivent intervenir en présentiel (TAF, 15.08.2016, B-5446/2015, consid. 7.1). Le Tribunal administratif fédéral adopte ainsi une approche nuancée, selon laquelle il convient d’examiner au cas par cas l’équivalence de l’enseignement à distance avec l’enseignement en présentiel.

Or, le Tribunal fédéral adopte ici une présomption péjorative de l’enseignement à distance, sans analyser s’il implique in concreto une différence de qualité pour les étudiants : « [l]’enseignement à distance permet une transmission des connaissances, comme le relève à juste titre le Conseil d’Etat en soulignant que des diplômes ont été délivrés à l’issue des cours à distance dispensés entre mars 2020 et septembre 2021, mais il ne peut être considéré comme un équivalent, surtout lorsque les deux types d’enseignement sont dispensés (consid. 5.3.2, nous soulignons) ». Les méthodes d’enseignements pour les étudiants en droit ne correspondent pas à celles que nécessitent les étudiants en médecine ou mathématique. Affirmer que dans toutes les situations l’enseignement à distance est inférieur à l’enseignement en présentiel semble excessif.

Cette position peine d’autant plus à convaincre lorsqu’on constate la propension des universités à proposer des cours retransmis à distance. En effet, les Universités de Genève et Zurich proposent des retransmissions en direct et en différé des cours et celle de Lausanne propose une diffusion synchrone lorsque la capacité de la salle ne garantit pas assez de place pour les étudiants. Cette présomption entre également en contradiction avec les cursus suisses de cours à distance, qui octroient des diplômes de bachelor ou master.

  1. L’analyse de la proportionnalité au sens étroit lors d’un recours contre acte normatif

À notre avis, les enseignements du présent arrêt doivent être reçus avec une certaine retenue en raison de la pratique du Tribunal fédéral en matière de contrôle abstrait d’une norme :

« Dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, le Tribunal fédéral examine librement la conformité d’un acte normatif au droit constitutionnel […]. Dans ce contexte, ce qui est décisif, c’est que la norme mise en cause puisse, d’après les principes d’interprétation reconnus, se voir attribuer un sens compatible avec les droits fondamentaux invoqués (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). Le Tribunal fédéral n’annule dès lors une norme cantonale que lorsque celle-ci ne se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l’homme. Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits fondamentaux en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances concrètes dans lesquelles ladite norme sera appliquée (ATF 143 I 1 consid. 2.3 p. 6). […] Le juge constitutionnel ne doit pas se borner à traiter le problème de manière purement abstraite, mais il lui incombe de prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme aux droits fondamentaux. […] Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, son application puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait des normes (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14 et les arrêts cités) ». (ATF 145 I 73, consid. 2, nous soulignons ; voir ég. Jacques Dubey, Droits fondamentaux vol. 1 – Notion, garantie, restriction et juridiction, 2018, N 810 et 841).

En l’espèce, la norme querellée a été abrogée avant que le Tribunal fédéral ne puisse se prononcer sur sa conformité à la Constitution. Elle ne donnera jamais l’occasion de procéder à un examen dans un cas concret. À notre avis, cette configuration atypique pousse le Tribunal fédéral à analyser de manière plus sévère la conformité à la Constitution fédérale de la disposition. En effet, l’ordonnance ne précise pas les modalités de la prise en charge financière des tests ; la norme ne contient pas en elle-même le défaut que lui reproche les juges de Mon-Repos. Il aurait été tout à fait envisageable, dans une perspective d’interprétation conforme à la Constitution fédérale, de charger le législateur fribourgeois d’introduire une seconde ordonnance qui réglerait la question des coûts des tests afin de satisfaire l’exigence de proportionnalité au sens strict.

Le Tribunal fédéral a d’ailleurs récemment suivi une telle approche, en intimant au législateur bâlois de combler dans une ordonnance de mise en œuvre certaines lacunes de la loi, afin d’assurer la conformité de celle-ci à la Constitution fédérale. Concrètement, il s’agissait en l’espèce d’instaurer dans une ordonnance des mesures administratives moins incisives que l’amende prévue par la loi (TF, 13.03.2023, 1C_537/2021*, consid. 5.4.8, résumé in LawInside.ch/1299).

En conséquence, il n’apparaît pas certain que le Tribunal fédéral ait considéré comme contraire à la Constitution l’art. 2 de l’Ordonnance si celle-ci avait été encore en vigueur au moment du jugement.

Le Conseil d’Etat du canton de Fribourg a adressé, au sujet de l’arrêt ici commenté, une demande en révision au Tribunal fédéral, portant sur un fait qu’il estime décisif sur l’issue de la cause.

L’auteur du présent résumé a étudié à l’Université de Fribourg durant la crise du coronavirus en 2020 et 2021.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La restriction d’accès aux activités d’enseignement et de recherche en temps de COVID-19, in : www.lawinside.ch/1301/