La reconnaissance du receivership américain
Une décision de receivership relève du droit de l’exécution forcée et ne peut, par conséquent, pas être reconnue en Suisse selon les art. 25 ss LDIP.
Faits
Dans le cadre d’une action en paiement intentée en Floride, le tribunal compétent prononce un « Order Appointing Receiver » à l’encontre d’un défendeur en mai 2021. Cette décision nomme un receiver (« tiers-séquestre ») et lui octroie tout pouvoir sur les biens appartenant directement ou indirectement au défendeur. À teneur de cette décision, le receiver doit prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que le défendeur dissimule ou disperse ses biens. Pour ce faire, il doit localiser ces derniers et en prendre possession. Il est ainsi habilité à introduire des actions en justice, et cela même à l’étranger. Par la suite, le Tribunal de Floride condamne le défendeur au paiement de près de USD 55 millions.
Une banque étasunienne ouvre une autre action en paiement à l’encontre du même défendeur devant les juridictions new-yorkaises. Par jugement de juin 2021, le Tribunal de New York le condamne au paiement de près de USD 80 millions.
Par décision de juillet 2021, ce même tribunal ordonne la jonction des causes initiées par la banque et le demandeur ayant obtenu gain de cause en Floride. Cela fait, il confirme les pouvoirs du receiver et mentionne les entités auxquelles son mandat s’étend. Ainsi, le receivership vise notamment trois sociétés et trusts qui détiendraient des biens auprès d’une société anonyme genevoise.
En décembre 2021, le receiver forme une requête de reconnaissance et d’exequatur des décisions de receivership de mai et de juillet 2021 devant les juridictions genevoises. Le Tribunal de première instance rejette sa requête. La Cour de justice confirme ce jugement. Le receiver forme recours au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la qualification de la procédure de receivership et sa reconnaissance en Suisse.
Droit
Le receiver fonde sa requête de reconnaissance sur les art. 25 ss LDIP. Ces dispositions s’appliquent aux affaires de nature civile, à l’exclusion des décisions d’exécution forcée. Les décisions de faillites étrangères sont soumises aux art. 166 ss LDIP. La reconnaissance d’un jugement de faillite étranger (cf. art. 166 LDIP) n’a pas la même portée que la reconnaissance des décisions au sens des art. 25 ss LDIP. En particulier, la reconnaissance d’un jugement de faillite étranger n’a pas pour effet d’étendre les effets de la décision au territoire suisse, mais permet une procédure d’entraide judiciaire connexe à la procédure menée à l’étranger. Les art. 166 ss LDIP permettent ainsi l’ouverture en Suisse d’une mini-faillite, qui demeure toutefois ancillaire à la procédure principale étrangère. Plus largement, le droit des poursuites relève du droit public et est donc gouverné par le principe de la territorialité. Ainsi, une poursuite menée en Suisse est exclusivement régie par la LP. Les actes de poursuites étrangers ne peuvent pas être reconnus en Suisse.
En l’espèce, se pose la question de savoir si les jugements dont la reconnaissance est requise ressortissent au droit de l’exécution forcée ou sont de nature civile. Le receiver argue que ceux-ci ne relèvent pas de la faillite, dès lors que la procédure ne vise pas le désintéressement de tous les créanciers et ne porte pas sur l’entier du patrimoine du débiteur.
Cependant, la procédure de receivership relève en réalité de l’exécution forcée. En effet, sa finalité consiste en l’exécution de décisions au fond, moyennant la saisie de biens du débiteur. Par conséquent, les décisions étasuniennes ne peuvent être reconnues en Suisse selon les art. 25 ss LDIP. Pour mettre la main sur les biens se trouvant en Suisse du défendeur, le receiver peut éventuellement requérir un séquestre sur la base des jugements au fond (art. 271 al. 1 ch. 6 LP), moyennant une reconnaissance de ceux-ci à titre incident.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
La Cour de justice a relevé que l’exercice du receivership sur le territoire suisse était contraire à l’ordre public suisse et pouvait constituer un acte relevant des pouvoirs publics exécuté pour un État étranger au sens de l’art. 271 ch. 1 CP (CJ/GE, 17.11.2022, ACJC/1571/2022, consid. 3.1.6 et 3.2.3). Afin de mettre la main sur les biens se trouvant en Suisse, différentes alternatives sont envisageables selon les cas. Ainsi, il est possible de requérir un jugement de faillite étranger, puis de le faire reconnaître en Suisse. Par ailleurs, les jugements au fond rendus à l’étranger peuvent être reconnus et exécutés, le cas échéant dans le cadre d’une procédure de mainlevée définitive (cf. art. 80 al. 1 et 81 al. 3 LP) ou de séquestre (cf. art. 271 al. 1 ch. 6 LP). La voie de la procédure pénale peut aussi être envisagée lorsque les biens en Suisse ont été obtenus à la suite d’une infraction (cf. Mauron Benoît A. / Schwab Alexandre / Schwarzen Pierre-Henri, Asset recovery : Can foreign receivers access Swiss assets ?, in Lalive Insights du 11 juin 2024).
Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, La reconnaissance du receivership américain, in : www.lawinside.ch/1457/