La production par un·e avocat·e de propositions transactionnelles dans le cadre du recouvrement de ses honoraires

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TF, 29.08.2024, 2C_579/2023*

Un·e avocat·e agissant sans représentant·e contre un·e ancien·ne mandant·e en recouvrement d’honoraires reste soumis·e à la LLCA dans la mesure où il·elle accomplit une activité professionnelle. Dans ce contexte, le fait de produire en procédure une proposition transactionnelle faite par l’avocat·e de la partie adverse constitue une violation de l’art. 12 lit. a LLCA.

Faits

Un avocat genevois inscrit au registre cantonal fournit des conseils en matière fiscale et représente des clients dans le cadre d’un mandat. Les honoraires relatifs à ce mandat sont facturés à un trust dont l’un des trustees est lui-même avocat.

Après plusieurs années, les clients résilient le mandat et contestent les dernières notes d’honoraires de l’avocat genevois, les estimant excessives. Dans le cadre de négociations pour parvenir à un accord amiable, le trustee, agissant pour le compte des clients, adresse à l’avocat genevois une offre pour solde de tout compte, portant la mention « sous réserve d’usage ». L’avocat genevois refuse la proposition.

Après avoir obtenu la levée du secret professionnel à l’égard de ses anciens mandants de la part de la Commission du barreau, l’avocat genevois saisit le Tribunal de première instance de deux requêtes de conciliation à leur encontre. Dans ce cadre, il produit le courriel contenant l’offre qu’il avait refusée.

Les anciens mandants de l’avocat le dénoncent à la Commission du barreau. Cette dernière considère que l’avocat genevois a bien agi dans le cadre de son activité professionnelle, soumise à la législation sur les avocats, et non dans le cadre d’une affaire privée. Toutefois, la production du courrier confidentiel au stade de la conciliation ne justifiait pas une sanction disciplinaire, à l’inverse de ce qui aurait valu s’il l’avait produit dans la procédure au fond. Partant, la Commission du barreau classe la procédure.

La Chambre administrative de la Cour de justice genevoise rejette le recours de l’avocat genevois. Ce dernier saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer s’il a violé la LLCA en produisant le courrier litigieux.

Droit

Le recourant conteste être soumis à la LLCA en relation avec le recouvrement de ses honoraires. Il argue que la LLCA régit l’activité professionnelle exercée pour le compte d’un tiers. Or, en l’espèce, il aurait agi pour lui-même, de sorte que son activité n’avait pas de caractère professionnel.

Selon le Tribunal fédéral, cette argumentation ne saurait être suivie. Pour que la LLCA s’applique, il faut que l’activité reprochée soit en lien direct avec la profession d’avocat. En matière disciplinaire, il convient de retenir une définition très large de l’exercice de la profession d’avocat, afin de protéger le public et de préserver la réputation et la dignité de la profession. Ainsi, selon la jurisprudence, même l’usage d’un papier à lettres professionnel ou la référence à sa qualité d’avocat dans les rapports avec des tiers peuvent déjà tomber sous le coup de la LLCA, quand bien même l’avocat agirait dans le cadre d’une activité privée.

En l’espèce, le recouvrement des honoraires s’inscrivait dans la continuité du mandat liant l’avocat à ses clients, et donc dans le prolongement de l’activité professionnelle déployée. Le fait que le recourant agissait pour lui-même n’est pas propre à changer cela. L’instance précédente était donc fondée à considérer que le recourant était soumis à la LLCA dans ce contexte.

Se pose donc ensuite la question de la violation de la LLCA. Selon l’art. 12 lit. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Le Code suisse de déontologie précise ensuite en particulier la portée de l’art. 12 lit. a LLCA.

Aux termes de l’art. 6 de l’ancien Code suisse de déontologie (le « Code »), en vigueur au moment des faits, sauf accord exprès de la partie adverse, l’avocat ne porte pas à la connaissance du Tribunal des propositions transactionnelles. De même, l’art. 26 du Code prévoit que le caractère confidentiel d’une communication adressée à un confrère doit être clairement exprimé dans cette dernière et qu’il ne peut être fait état, en procédure, de documents ou du contenu de propositions transactionnelles ou de discussions confidentielles.

La jurisprudence fédérale retient que le non-respect d’une clause de confidentialité et l’utilisation en procédure du contenu de pourparlers transactionnels constituent une violation de l’art. 12 lit. a LLCA.

En l’espèce, contrairement à ce que soutient le recourant, l’absence d’un accord préalable au sujet de la confidentialité des échanges ne lui est d’aucun secours. En effet, le courrier contenant l’offre transactionnelle portait la mention « sous réserve d’usage ». Le fait que le recourant n’ait pas fait appel aux services d’un autre avocat pour le représenter ne permet pas de le considérer comme une partie non représentée, à l’égard de laquelle le caractère confidentiel des discussions aurait dû faire l’objet d’un accord explicite.

Partant, le Tribunal fédéral confirme que le recourant a violé l’art. 12 lit. a LLCA et rejette le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, La production par un·e avocat·e de propositions transactionnelles dans le cadre du recouvrement de ses honoraires, in : www.lawinside.ch/1478/