La légitimation active de la masse dans une action en responsabilité

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ATF 142 III 23 | TF, 10.12.2015, 4A_425/2015*

Faits

En manque de liquidités, Swissair demande un sursis concordataire qui débouche sur l’adoption d’un concordat par abandon d’actifs. Avant l’introduction de la procédure concordataire, le conseil d’administration de Swissair effectue le paiement de plusieurs créances en faveur de tiers.

En lien avec ces paiements, les liquidateurs forment une action en responsabilité contre le conseil d’administration auprès du tribunal de commerce de Zurich qui refuse de leur reconnaître la qualité pour agir en réparation d’un dommage subi par les créanciers. Les liquidateurs saisissent le Tribunal fédéral qui doit se déterminer sur la qualité pour agir de la masse concordataire lorsque le dommage est supporté par les créanciers, et non par la société.

Droit

Dans la liquidation concordataire, la masse peut, par l’intermédiaire de ses liquidateurs, former une action en responsabilité pour le dommage qui se manifeste auprès de la société lorsque le conseil d’administration agit de manière contraire à ses devoirs (art. 757 al. 1 CO et art. 325 LP).

En l’occurrence, le paiement des créances litigieuses par le conseil d’administration diminue dans une même mesure les actifs et les passifs de Swissair. L’opération n’affecte donc pas le patrimoine de la société qui reste inchangé. Par conséquent, la société ne subit aucun dommage.

En s’appuyant sur un arrêt du Tribunal fédéral (TF, 19.09.2000, 5C.29/2000), les liquidateurs soutiennent toutefois que leur qualité pour agir doit être reconnue pour un dommage causé aux créanciers, car le substrat de réalisation est moindre, et ce, indépendamment de la question de savoir si la société a subi un dommage. Le Tribunal fédéral considère que cet arrêt a été rendu sous l’ère d’une ancienne jurisprudence qui soumettait de manière exclusive l’exercice de l’action en responsabilité à l’administration de la faillite (ATF 125 III 86, c. 3a, JdT 2001 I 73). Le créancier pouvait se faire reconnaître lui-même la qualité pour agir que dans la mesure où il pouvait se prévaloir de la violation d’une norme qui avait pour but exclusif de le protéger. Ainsi, il était justifié de reconnaître à l’administration de la faillite la qualité pour agir pour un dommage qui n’affecte pas la société, mais uniquement un créancier.

Dans une jurisprudence plus récente, le Tribunal fédéral a soutenu que le créancier peut agir sans aucune limite en responsabilité pour obtenir la réparation de son dommage direct (ATF 132 III 564, c. 3.2.1). Ainsi, il ne se justifie plus de reconnaître à l’administration de la faillite la qualité pour agir en réparation d’un dommage qui n’affecte que le créancier. Par conséquent, l’administration de la faillite ne peut intenter une action en responsabilité que si le patrimoine de la société a subi une diminution au sens de la théorie de la différence. Autrement dit, c’est exclusivement le dommage subi par la société qui peut faire l’objet d’une action en responsabilité de la part de l’administration de la faillite.

En l’occurrence, les paiements litigieux ont exclusivement causé un dommage aux créanciers en soustrayant des biens à la réalisation. Conformément aux développements précédents, un tel dommage ne peut pas faire l’objet d’une action en responsabilité par la masse concordataire (art. 757 al. 1 CO et art. 325 LP). Seuls les créanciers lésés peuvent faire valoir ce dommage lors d’une action en responsabilité. L’administration de la faillite pourrait quant à elle intenter une action paulienne à l’encontre du créancier bénéficiaire (art. 285 al. 1 et 2 ch. 2, art. 288 al. 1 et art. 325 LP), mais non une action en responsabilité contre le conseil d’administration de la société.

Partant, le recours des liquidateurs est rejeté.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La légitimation active de la masse dans une action en responsabilité, in : www.lawinside.ch/149/