Les principes d’indemnisation en cas de survols directs de terrains à proximité d’un aéroport

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ATF 142 II 136TF, 17.03.2016, 1C_256/2014*

Faits

En 2001, suite à l’introduction des « approches est » de l’aéroport de Zurich, un grand nombre de propriétaires déposent une demande d’ouverture d’une procédure en expropriation contre indemnisation de la pleine valeur vénale, respectivement de la moins-value, de leurs biens-fonds respectifs. En 2009, la Commission fédérale d’expropriation saisie (ci-après : CFE) ouvre la procédure consacrée à l’expropriation pour survols directs. En 2011, la CFE rejette complètement la demande d’un propriétaire et admet partiellement les autres. Les expropriés ainsi que l’aéroport de Zurich et le canton (ci-après : les expropriants) recourent au Tribunal administratif fédéral (ci-après : le TAF). En 2014, le TAF admet partiellement les recours des expropriés, annule les décisions d’estimation et renvoie la cause à la CFE pour réexamen. Les expropriants déposent alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui est appelé à déterminer les principes du calcul de l’indemnité pour survol direct d’un bien-fonds.

Droit

A titre préliminaire, le Tribunal fédéral rappelle qu’il y a un cas d’expropriation pour survol direct, lorsqu’un avion pénètre directement et de manière régulière dans l’espace aérien compris dans le droit de propriété en vertu de l’art. 667 al. 1 CC. Cela suppose que le survol soit suffisamment bas pour porter atteinte aux intérêts dignes de protection du propriétaire à l’utilisation sans trouble de sa propriété. En l’espèce, ces conditions sont incontestablement remplies. Seul le montant de l’indemnité reste ainsi litigieux.

La CFE a accordé aux expropriés une indemnité compensant la moins-value subie uniquement par la colonne aérienne verticale survolée par les avions et non par l’ensemble du bien-fonds. Dans un premier temps, elle a calculé la moins-value de cette partie due aux nuisances sonores en utilisant le modèle MIFLU I pour les maisons individuelles et son propre modèle hédoniste (ci-après : Modèle CFE) pour les biens-fonds générant un rendement. Elle a ensuite déduit de l’indemnité un montant forfaitaire, représentant la perte de valeur déjà causée par le bruit au moment de l’achat et/ou de la construction du terrain, si celui-ci avait été acheté à bas prix en raison du bruit préexistant et/ou construit avec des attentes réduites de rendement au vu de ce facteur. Enfin, elle a accordé aux expropriés un supplément d’indemnité calculé en % de la valeur du terrain (à l’exclusion du bâtiment) avec les nuisances sonores pour compenser les autres nuisances des survols directs.

Le TAF, pour sa part, a recalculé l’indemnité due pour compenser la moins-value de l’ensemble de la parcelle. En outre, il a estimé que le Modèle CFE n’était pas applicable puisqu’il ne prenait en compte que les nuisances de base entre 6h00 et 22h00 alors que les approches est se font essentiellement en fin de soirée et pendant la nuit. Il a donc requis de la CFE qu’elle procède à un nouveau calcul de l’indemnité pour les biens-fonds avec des bâtiments locatifs à l’aide d’une grille s’inspirant du modèle MIFLU I (avec des valeurs de moins-values légèrement plus basses que pour des maisons individuelles). Enfin, il a recalculé les déductions d’équité et les suppléments pour les autres nuisances. Pour les premières, il a considéré que la moins-value préexistante due au bruit devait être prise en compte lorsque les immissions sonores avaient atteint la valeur limite d’immission pour le bruit de survol (60 dB) avant l’achat et/ou la construction. Cas échéant, une déduction de 5 % de la valeur du bien-fonds sans nuisances sonores – 10 % en cas de dépassement significatif – devait être effectuée. Pour les seconds, il a fixé le montant forfaitaire en % de la valeur du terrain et du bâtiment en l’absence de nuisances.

Premièrement, le Tribunal fédéral rappelle que l’indemnité en cas de survol direct est due pour compenser les nuisances spécifiques du survol (aspect menaçant, remous d’air, effluves provenant des moteurs) ainsi que le bruit intense, qui représentent une atteinte grave et directe au droit de propriété. Dès lors, elle doit nécessairement compenser l’entier du dommage subi. En conséquence, un propriétaire dont le bien-fonds est survolé, même par seulement une aile d’avion, a droit à une indemnisation pleine et entière de la moins-value de l’ensemble du bien-fonds pour tous les désavantages liés au survol (art. 16, 19 lit. b LEx). Les particularités du survol, notamment lorsqu’il ne se fait qu’en bordure d’un terrain, peuvent être prises en compte au moment du calcul de l’indemnité seulement.

Néanmoins, cette pratique peut aboutir à des résultats choquants pour des parcelles très grandes et/ou avec plusieurs bâtiments, dont seuls certains sont survolés. Dans un tel cas, une division théorique de la parcelle est envisageable pour calculer la moins-value due au survol. Cette hypothèse est réalisée dans le cas d’une des parcelles, s’étendant sur env. 11’000 m2, dont seuls 1’299 m2 sont survolés, et comprenant neuf bâtiments, dont deux survolés. Le Tribunal fédéral estime ici inéquitable d’accorder une indemnité pour tous les bâtiments juste en raison de l’absence de division parcellaire. La moins-value doit donc être calculée pour les bâtiments survolés seulement (mais pas restreinte au couloir survolé).

En ce qui concerne les parcelles non bâties, une division hypothétique est difficile car elle dépend de la situation et de la taille des constructions. En l’absence de contraintes résultant de la planification des zones ou de la taille et de la forme de la parcelle, le propriétaire reste libre de bâtir une grande construction ou plusieurs petites. Dans le cas présent, la parcelle non construite s’étend sur env. 3’500 m2, dont 7.8 % sont survolés au sud. Ainsi, peu importe les constructions entreprises, seules celles au sud seront touchées par les survols. Dès lors, la moins-value doit être calculée pour la partie sud de la parcelle uniquement.

Deuxièmement, le Tribunal fédéral constate que, certes, le Modèle CFE n’est pas entièrement adapté à la situation spécifique des approches est puisqu’il aboutit à considérer que les nuisances nocturnes sont minimes. Malgré cela, le modèle MIFLU I, développé pour des maisons individuelles, ne peut être pas transposé à des bâtiments locatifs. La valeur d’une habitation occupée par son propriétaire a en effet tendance à réagir de manière plus sensible à l’augmentation des nuisances que celle d’un immeuble locatif, duquel les locataires peuvent déménager. Or, le Modèle CFE a été spécialement développé pour les bâtiments locatifs par des professionnels sur la base d’une multitude de données. La question de savoir si, dans quelle mesure et comment il doit être changé ne peut être tranchée sans connaissances spécialisées dans l’économie immobilière et la statistique. Or, vu l’absence de données de transactions spécifiques aux approches est, le danger d’inégalités inhérent au développement d’un nouveau modèle ainsi que la durée extrêmement longue de la procédure, la sécurité du droit, l’égalité et le principe de célérité imposent de garder en l’espèce le Modèle CFE.

Troisièmement, le Tribunal fédéral admet qu’une déduction équitable est possible si le bien-fonds était déjà survolé depuis plusieurs années au moment de l’acquisition et/ou de la construction et que cela a eu une influence sur son prix et/ou été pris en compte lors de la construction. Avec les instances précédentes, il estime qu’une telle hypothèse peut être donnée dans les cas présents. Selon lui, c’est en outre à raison que le TAF a procédé à une schématisation visant à obtenir une solution praticable et égale. Ainsi, il est plausible que le dépassement de la valeur limite d’immission ait eu un impact sur la valeur des biens-fonds. Toutes les acquisitions/constructions de biens-fonds postérieures au dépassement de cette valeur sont donc supposées avoir été faites en « valorisant » la moins-value. Dès lors, une déduction de l’indemnité de 5 %, respectivement 10 %, de la valeur vénale sans nuisances sonores se justifie. En revanche, seule cette déduction, et non une renonciation complète à l’indemnité, comme décidée par la CFE dans le cas de la parcelle de 11’000 m2, est admissible. Si, comme dans ce cas, l’autorité est en mesure de se fonder sur des circonstances concrètes pour prouver que le montant forfaitaire de 5 % n’est pas adapté, elle ne peut qu’augmenter la déduction. Selon le Tribunal fédéral, le TAF a ici suffisamment pris en compte l’avantage du propriétaire en déduisant 10 % de la valeur vénale du terrain et des bâtiments.

Enfin, les juges confirment que les survols directs n’entraînent pas seulement des nuisances sonores, mais également d’autres atteintes, telles que l’aspect menaçant et dangereux des avions, les remous d’air ainsi que les effluves provenant des moteurs. L’expérience générale de la vie démontre que ces dérangements représentent une composante propre de l’atteinte, qui se répercute sur le prix. Or, le calcul de l’indemnité pour survol doit se faire par la méthode de la différence, soit par une comparaison de la valeur du bien-fonds avec et sans atteinte (art. 19 lit. b LEx). Dès lors, c’est bien la valeur vénale du bien-fonds avec ses constructions et sans nuisances sonores qui doit être prise comme valeur repère. En ce qui concerne la détermination concrète de la perte de valeur due aux nuisances, l’autorité de première instance dispose d’une large liberté d’appréciation. S’il est possible de mentionner un montant d’env. 5 % de la valeur vénale comme valeur indicative, il reviendra au TAF d’examiner si la CFE a excédé sa liberté d’appréciation. En outre, il devra examiner si l’indemnité totale est défendable et se fonde sur une dévalorisation globale plausible. Logiquement, le total de l’indemnité pour nuisances sonores et de l’indemnité pour les autres nuisances ne doit notamment pas excéder la valeur vénale en l’absence de nuisances.

En conséquence, les recours sont partiellement admis et la cause est renvoyée au TAF pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Note

Cet arrêt est le deuxième rendu en 2016 à propos des demandes d’indemnisation faisant suite aux survols directs d’avions en direction/en provenance de l’aéroport de Zurich (pour un résumé du premier arrêt, cf. Camilla Jacquemoud, www.lawinside.ch/223/). Le premier arrêt se concentrait sur les conditions de l’expropriation en cas de survols directs, alors que le présent arrêt décrit les principes de l’indemnisation.

Dans un cas comme dans l’autre, le Tribunal fédéral souligne la durée extrêmement longue de la procédure et enjoint les autorités précédentes à y mettre un terme rapidement. Dans le présent arrêt, il rappelle au TAF qu’il doit si possible rendre une décision finale, afin d’éviter une prolongation de la procédure. Par ailleurs, la durée de la procédure justifie notamment l’entrée en matière sur le recours contre une décision non finale (art. 93 al. 1 LTF) ainsi que le maintien du Modèle CFE. Le Tribunal fédéral se montre néanmoins partiellement critique envers l’application de celui-ci aux cas d’approches nocturnes. A notre sens, on ne peut dès lors pas interpréter l’arrêt comme une confirmation absolue de ce modèle.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Les principes d’indemnisation en cas de survols directs de terrains à proximité d’un aéroport, in : www.lawinside.ch/235/