Le besoin propre et urgent pour résilier le bail de manière anticipée

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ATF 142 III 336 | TF, 31.03.16, 4A_447/2015*

Faits

Un locataire loue des locaux commerciaux dans un immeuble qui est vendu à une nouvelle société. La société, nouvellement propriétaire, résilie le bail en faisant valoir un besoin propre et urgent (art. 261 al. 2 lit. a CO) : elle veut détruire l’immeuble et y construire un hôtel pour l’exploiter. Au moment de la résiliation, la société (bailleresse) n’avait pas encore reçu les autorisations de démolition et de construction, encore pendantes devant les autorités communales. Le locataire conteste la résiliation de bail et obtient gain de cause en première instance et devant le Tribunal cantonal, tous deux estimant que le besoin n’est pas urgent, faute d’autorisation administrative pour exécuter les travaux. La bailleresse recourt au Tribunal fédéral qui doit préciser les conditions d’une résiliation anticipée en cas de besoin propre et urgent du nouveau bailleur.

Droit

Si le bailleur aliène la chose louée, le bail passe à l’acquéreur avec la propriété de la chose (art. 261 al. 1 CO). Pour les locaux commerciaux et d’habitation, le nouveau propriétaire peut toutefois résilier le bail de manière anticipée s’il fait valoir un besoin propre et urgent (art. 261 al. 2 lit. a CO). La notion de besoin urgent et propre se retrouve également à l’art. 271a al. 3 CO (validité du congé donné dans les trois ans suivant une procédure) et à l’art. 272 al. 2 lit. d CO (prolongation de bail). Dans la résiliation anticipée lors d’un transfert de propriété et dans le congé donné dans les trois ans qui suivent une procédure, le besoin urgent et propre constitue une condition de validité du congé. Par contre, dans la prolongation de bail, le besoin propre et urgent n’est qu’un des critères à prendre en compte pour accorder une éventuelle prolongation de bail et fixer sa durée.

Le besoin est urgent lorsqu’on ne peut exiger du nouveau propriétaire qu’il renonce à utiliser l’objet avant l’échéance contractuelle, en particulier pour des raisons économiques. Selon la jurisprudence, le besoin doit être réel (non simulé), actuel (un besoin futur possible ne suffit pas) et immédiat (susceptible de se concrétiser avant l’échéance contractuelle). Le caractère immédiat dépend d’éventuels travaux de rénovation. Si le nouveau propriétaire doit procéder à de grandes transformations ou même démolir la chose, l’urgence est liée à l’avancement du projet de transformation. Par contre, la jurisprudence n’exige pas que les autorités administratives aient déjà autorisé les travaux  ; il suffit que l’autorisation soit susceptible d’être délivrée.

L’urgence relative à l’utilisation des locaux n’empêche pas le juge d’accorder une prolongation de bail. A cet égard, le juge doit peser les intérêts du locataire et du bailleur et prendre notamment en compte le besoin propre et urgent du bailleur. Le besoin propre et urgent du bailleur joue donc un double rôle  : il est nécessaire pour admettre la validité du congé anticipé, puis sert de critère pour accorder une éventuelle prolongation de bail et fixer sa durée. Dans cette dernière étape, le besoin du bailleur à utiliser la chose avant l’échéance contractuelle ne prime les intérêts du locataire que s’il a déjà obtenu la décision administrative pour commencer les travaux. Par conséquent, lorsque le nouveau propriétaire n’a pas reçu l’autorisation administrative, la résiliation anticipée est valable, mais le locataire a droit à une prolongation de bail. Le juge ne doit pas accorder d’office une prolongation d’une durée maximale de 6 ans ;  il doit plutôt fixer une durée inférieure et le locataire peut solliciter une nouvelle prolongation si les travaux ne sont pas encore autorisés à l’échéance de la première prolongation.

En l’espèce, la nouvelle propriétaire veut elle-même exploiter un hôtel et dispose donc d’un besoin  propre. En ce qui concerne son besoin urgent, la cour cantonale l’a nié car la bailleresse n’avait pas reçu la décision administrative pour commencer les travaux. Cependant, cette condition n’est pas pertinente pour la validité de la résiliation anticipée au sens de l’art. 261 al. 2 lit. a CO. Le Tribunal fédéral constate ensuite que la nouvelle propriétaire a investi des montants importants pour acquérir un immeuble et ne peut pas attendre la prochaine échéance contractuelle qui a lieu dans 5 ans pour réaliser son projet hôtelier alors que les demandes de permis sont en cours. Au surplus, rien dans le dossier ne permet de douter que les autorisations seront refusées. Partant, la nouvelle bailleresse a prouvé son besoin propre et urgent et a valablement résilié les locaux commerciaux.

Dès lors, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour qu’elle statue sur la prolongation de bail en prenant notamment en compte le fait que les travaux n’ont pas encore été autorisés.

Proposition de citation : Julien Francey, Le besoin propre et urgent pour résilier le bail de manière anticipée, in : www.lawinside.ch/236/