La privation de liberté d’un participant potentiel à une manifestation non autorisée

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ATF 142 I 121TF, 20.04.2016, 1C_230/2015*

La seconde partie de cette arrêt, qui traite de la restriction à la liberté de mouvement, a été résumée ici : www.lawinside.ch/267

Faits

A l’occasion de la « Fête du travail » du 1er mai 2011, un important attroupement, au sein duquel le recourant se trouvait, s’est formé dans l’espace Kanzleiareal/Helvetiaplatz à Zurich. Vers 16h30, la police a formé un cordon autour des personnes présentes et n’a autorisé que les personnes qui sont sans lien avec une manifestation non autorisée à sortir du périmètre délimité. Vers 19h00, 542 individus, dont le recourant, ont été arrêtés, conduits à un poste de police et détenus à cet endroit à des fins de vérifications de sécurité. La police a prononcé à l’encontre du recourant une mesure d’éloignement de 24 heures, valable dès 22h00, lui interdisant de pénétrer ou de rester dans un périmètre déterminé du centre-ville de Zurich. A 22h30, il a été relâché sans être inquiété par des poursuites pénales.

Après avoir épuisé les voies de recours cantonales, le recourant conteste la régularité de son arrestation par un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Ce dernier est appelé à déterminer si l’encerclement policier et la détention au poste de police représentent une privation de liberté irrégulière (art. 31 Cst., art. 5 CEDH).

Droit

Le maintien du recourant au sein du cordon policier pendant 2 heures 30 puis la détention à des fins de vérifications de sécurité pendant 3 heures 30 représentent ensemble une privation de liberté au sens de l’art. 31 al. 4 Cst., autorisée que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle prescrit (art. 31 al. 1 Cst.). Elles ont également provoqué une atteinte à la la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.), à la  liberté de réunion (art. 22 Cst., art. 11 CEDH) et à la liberté d’opinion (art. 16 al. 1 et 2 Cst., art. 10 CEDH). Ces atteintes à des droits fondamentaux ne peuvent ainsi être considérées comme régulières que si elles respectent les conditions de l’art. 36 Cst.

Elles doivent ainsi premièrement se fonder sur une base légale. Le § 3 al. 1 PolG-ZH dispose que la police est chargée d’assurer le maintien de la sécurité et de l’ordre public par les mesures adéquates. Elle doit en particulier prendre les mesures nécessaires à la prévention et à l’élimination d’infractions et à la protection contre les dangers immédiatement menaçants (§ 3 al. 2 let. a et c PolG-ZH). Lorsque l’accomplissement de ses tâches l’exige, la police est autorisée à retenir une personne, à constater son identité et à déterminer si elle est recherchée (§ 21 al. 1 PolG-ZH). Elle est autorisée à amener cette personne à un poste, si ces clarifications ne peuvent pas être établies sur place, ou seulement au prix de difficultés importantes ou s’il existe un doute quant à la véracité des indications ou à l’authenticité des papiers d’identité (§ 21 al. 3 PolG-ZH).

En l’espèce, la police a estimé à raison que, vu la nette tendance à la mobilisation dans le but d’entamer une manifestation non autorisée ainsi que les expériences des années précédentes, la foule présente sur la place représentait un danger conséquent pour la sécurité publique. Peu importe si toutes les personnes présentes avaient l’intention de se joindre à la manifestation ou si le recourant lui-même se comportait de manière calme avant et pendant l’encerclement, la police ne pouvait pas exclure qu’il aurait pris part à la manifestation imminente, non autorisée et vraisemblablement violente. Dès lors, le maintien du recourant au sein du cordon de police puis son arrestation à des fins de vérifications servait le maintien de la sécurité et de l’ordre public ainsi que l’empêchement d’infractions et de dangers imminents au sens du § 3 al. 1 et 2 PolG-ZH. En outre, en raison du nombre important d’individus en présence, le contrôle d’identité et d’avis de recherche aurait été extrêmement difficile sur place et pouvait avoir lieu de manière plus rapide et plus fiable au poste. Dès lors, la police était fondée à conduire le recourant au poste et à le placer en détention dans le but d’effectuer les contrôles (§ 21 al. 1 et 3 en lien avec § 3 PolG-ZH).

Il résulte de ce qui précède que la retenue passagère du recourant au sein du cordon, l’arrestation subséquente et la détention passagère au poste de police servaient à la prévention d’une manifestation imminente, non autorisée et vraisemblablement violente, ainsi qu’à l’établissement de l’identité du recourant comme potentiel participant à la manifestation. Vu les circonstances et les expériences des années précédentes, la police devait s’attendre à ce que les personnes réunies sur la place prennent part à cette manifestation. Ainsi, même s’il ne pouvait pas être immédiatement établi si un danger concret émanait du recourant en personne, les mesures prises visaient la protection d’un intérêt public.

Reste ainsi à examiner la proportionnalité des mesures contestées. Selon le Tribunal fédéral, les mesures étaient aptes et nécessaires à atteindre le but recherché. Les personnes qui, d’après l’appréciation des forces de l’ordre, n’étaient manifestement pas des participants avaient le droit de quitter la place. Si la police avait également laissé des manifestants potentiels quitter le périmètre de sécurité, elle aurait dû compter avec le risque que ceux-ci se réunissent rapidement à un autre endroit afin d’entamer une manifestation violente et non autorisée. De plus, vu le grand nombre de personnes à contrôler et l’absence d’installations adéquates sur place, il était pratiquement impossible de vérifier sur place rapidement l’identité du recourant ainsi que l’existence d’éventuels avis de recherche à son encontre.

S’agissant enfin du caractère raisonnablement exigible des mesures policières, le Tribunal fédéral constate que la détention policière a gravement restreint le recourant dans sa liberté de mouvement. Il pouvait néanmoins se déplacer librement à l’intérieur du cordon policier pendant les 2 heures 30. Pendant le transport au poste de police, il était retenu par des menottes attache-câble. Il s’est ensuite retrouvé détenu avec d’autres personnes dans une salle déterminée pendant 3 heures 30. Au total, l’atteinte à la liberté de mouvement a duré environ 6 heures et était accompagnée d’autres mesures désagréables. De plus, les mesures précitées ont également porté atteinte à la liberté de réunion et d’opinion du recourant. Néanmoins, l’intérêt privé du recourant à se déplacer librement, à se réunir avec d’autres personnes et à exprimer son avis sans entrave entrait en conflit avec des intérêts publics essentiels. Les expériences des années précédentes ont montré que les manifestations non autorisées à l’occasion du 1er mai provoquaient régulièrement des débordements, avec à leur suite non seulement des dégâts matériels conséquents, mais également des blessures chez les manifestations, les forces de l’ordre et des personnes non impliquées. Vu son appréciation de la situation, la police devait partir de l’idée que la manifestation non autorisée imminente aurait entraîné de graves débordements, raison pour laquelle l’intérêt public à la retenue des manifestants potentiels au sein d’un périmètre était important. Vu les circonstances, des intérêts essentiels imposaient également de contrôler l’identité des manifestants potentiels et de clarifier s’ils étaient recherchés. Il résulte de cette pesée d’intérêts qu’on doit considérer que la détention de 6 heures était raisonnablement exigible de la part du recourant. Pour autant, il ne faut pas oublier que seul un danger concret de graves débordements peut justifier de telles restrictions dans les droits fondamentaux, en particulier lorsqu’il faut s’attendre à ce que les mesures policières touchent inévitablement des personnes ne présentant concrètement aucun danger. Tel était le cas en l’espèce et, à l’avenir, les forces de l’ordre devront toujours évaluer de manière diligente si la probabilité des débordements graves est suffisamment élevée pour justifier de telles restrictions aux droits fondamentaux. Cela suppose la présence d’indices et de signes concrets, et pas seulement le renvoi aux expériences des années précédentes.

Aussi, le Tribunal fédéral considère que la détention policière était également justifiée sur la base de l’art. 5 par. 1 let. b et c CEDH.

Il résulte de ce qui précède que le maintien du recourant au sein d’un cordon policier, son arrestation puis sa détention au poste police à des fins de vérification de son identité n’ont violé ni les art. 10 al. 2, 16, 22, 31 Cst., ni l’art. 5 CEDH. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours sur ce point.

Note

Cette affaire a déjà fait l’objet d’un arrêt du Tribunal fédéral (TF, 22.01.2014, 1C_350/2013) concernant l’autorité compétente pour connaître du recours en première instance.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La privation de liberté d’un participant potentiel à une manifestation non autorisée, in : www.lawinside.ch/266/