La publication des décisions de la ComCo

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ATF 142 II 268TF, 26.05.2016, 2C_1065/2014*

Faits

La ComCo sanctionne Nikon pour entente illicite au sens de la loi sur les cartels (LCart). L’autorité publie sa décision sur son site Internet en précisant qu’elle n’est pas encore entrée en force.

Nikon conteste sans succès devant le Tribunal administratif fédéral la licéité de la publication de la décision par la ComCo, en particulier la reproduction intégrale de certaines correspondances. L’entreprise forme recours au Tribunal fédéral.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral est appelé à se prononcer sur l’admissibilité de la publication de ses décisions par la ComCo, en particulier au regard du secret des affaires, de la présomption d’innocence et de la protection des données.

Droit

Aux termes de l’art. 48 al. 1 LCart, les autorités en matière de concurrence peuvent publier leurs décisions. La publication a notamment pour but de permettre aux acteurs économiques d’orienter leur comportement, d’assurer la transparence de l’activité administrative, ainsi que d’informer les autres autorités concernées quant à la pratique des autorités du droit de la concurrence. Ces objectifs s’apparentent ainsi à ceux de la publication de la jurisprudence.

La publication doit néanmoins être conforme au droit fédéral. Elle ne doit en particulier révéler aucun secret d’affaires (art. 25 al. 4 LCart). Constituent un secret d’affaires les éléments (1) qui ne sont pas publics ou généralement accessibles, (2) que le maître du secret entend garder confidentiels et (3) à la confidentialité desquels il existe un intérêt légitime. L’objet de l’enquête introduite par la ComCo ainsi que l’entité visée ne relèvent pas du secret d’affaires, dans la mesure où ces éléments sont communiqués de par la loi au moment de l’ouverture de l’enquête déjà (art. 28 LCart) de façon à permettre l’éventuelle participation de tiers à l’instruction (art. 43 LCart).

La question de savoir si des actes illicites peuvent faire l’objet d’un secret d’affaires est contestée, en particulier au regard de la condition d’un intérêt légitime au maintien de la confidentialité. Il n’est pas nécessaire de trancher cette controverse de façon générale en l’espèce, dès lors que les spécificités du droit de la concurrence appellent à un traitement particulier de la question. En effet, dans le contexte de la LCart, la protection du secret des affaires vise à sauvegarder la compétitivité des acteurs économiques concernés et ainsi la libre concurrence. Un comportement contraire au droit de la concurrence allant précisément à l’encontre de ces objectifs, il ne peut y avoir aucun intérêt légitime à le garder confidentiel. En l’espèce, la correspondance dont Nikon conteste la publication permet d’établir les accords illicites passés par la société. Partant, sa publication ne viole pas de secrets d’affaires.

La recourante invoque ensuite une violation de la présomption d’innocence (art. 32 al. 1 Cst féd. et art. 6 par. 2 CEDH). Les sanctions pour entente cartellaire revêtent avant tout un caractère administratif. La CourEDH a cependant retenu que les exigences de l’art. 6 CEDH doivent être respectées en matière de droit de la concurrence déjà au stade de la procédure administrative (CourEDH, Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie). Les autorités n’en sont pas moins habilitées à communiquer sur des procédures en cours, pour autant qu’il existe un intérêt public pour ce faire. La publication des décisions de la ComCO poursuit divers buts légitimes, en particulier celui de permettre aux tiers de participer à la procédure (art. 28 et 43 LCart), comme précédemment exposé. Elle découle ainsi d’une pesée entre l’intérêt public, les intérêts de tiers et ceux de l’entreprise sanctionnée. Il sied au demeurant de relever que l’art. 6 par 1 CEDH prévoit la publicité des débats devant les autorités de première instance, soit avant même le prononcé d’une éventuelle condamnation. Au regard de ce qui précède, la publication intégrale d’une décision de la ComCo sur le site Internet de celle-ci avant l’entrée en force de la décision concernée ne viole pas la présomption d’innocence.

Le Tribunal fédéral rejette également les griefs de la recourante fondés sur une violation de la loi sur la protection des données (LPD), au motif que les dispositions de la LCart constituent à certains égards des règles spéciales par rapport à la LPD, et qu’il existe en tout état un intérêt public prépondérant à la publication (cpr. art. 19 LPD).

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours et confirme la licéité de la publication de l’intégralité de sa décision par la ComCo.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La publication des décisions de la ComCo, in : www.lawinside.ch/284/