La suspension de la procédure de reconnaissance selon la CL

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ATF 142 III 420 | TF, 06.04.2016, 5A_248/2015*

Faits

Un prévenu est condamné en Italie à une peine privative de liberté de 5 ans et demi ainsi qu’au remboursement du dommage subi par la partie plaignante. À titre provisionnel, le tribunal italien condamne le prévenu au paiement de 10 millions d’euros.

La partie plaignante demande et obtient la reconnaissance et la déclaration de force exécutoire (exequatur) de ce jugement en Suisse. Sur cette base, elle obtient le séquestre de divers comptes bancaires du prévenu. Ce dernier demande à l’instance d’appel de suspendre la procédure jusqu’à droit connu sur le recours qu’il a introduit en Italie contre le jugement le condamnant. Débouté, il saisit le Tribunal fédéral, lequel doit déterminer si la demande de suspension de la procédure de reconnaissance et d’exequatur est admissible et si le jugement italien peut être reconnu en Suisse.

Droit

La requête du recourant de suspendre la procédure a été rejetée en appel. Devant le Tribunal fédéral, le recourant soutient pouvoir réitérer cette demande.

D’après l’art. 46 CL, la juridiction saisie du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire (cf. art. 43 et 44 CL) peut, à la requête de la partie contre laquelle l’exécution est demandée, surseoir à statuer, si la décision étrangère fait l’objet d’un recours ordinaire dans l’Etat d’origine. La juridiction saisie du recours peut être le tribunal cantonal de l’exécution (art. 43 ch. 2 cum Annexe II CL) ou (ensuite) le Tribunal fédéral (art. 44 cum Annexe IV CL). La jurisprudence de la CJUE a établi que la décision déniant la suspension de la procédure ne peut faire l’objet d’aucun recours.

Le Tribunal fédéral interprète l’art. 46 CL afin de déterminer si la demande de suspension peut être formulée devant la juridiction cantonale, puis réitérée devant le Tribunal fédéral. Il parvient à la conclusion que cette possibilité ne peut être admise, dans la mesure où elle reviendrait de facto à admettre la possibilité de former un recours contre le refus de la requête tendant à suspendre la procédure. Partant, quand bien même la suspension peut être demandée tant devant l’instance cantonale que devant le Tribunal fédéral, elle ne peut pas être requise devant les deux instances subséquemment. La demande du recourant est donc irrecevable en l’espèce.

Pour le surplus, le recourant conteste la reconnaissance du jugement italien en Suisse. Le Tribunal fédéral rappelle que la reconnaissance de jugements rendus dans les Etats parties à la CL est automatique (art. 33 CL), et que seuls les motifs de refus prévus à l’art. 34 et 35 CL s’opposent à la reconnaissance. Ces motifs doivent être prouvés par la partie qui s’en prévaut, étant précisé qu’ils doivent être interprétés de manière restrictive et demeurer ainsi l’exception. En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’un examen au fond. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que les griefs que le recourant déduit de la violation de l’ordre public ne sont pas suffisamment étayées et ne permettent pas de retenir des manquements manifestes au niveau procédural dans la procédure étrangère. À défaut de démontrer de manière détaillée quels principes ou dispositions de droit suisse le jugement étranger violerait de manière manifeste, le recourant semble plutôt vouloir mener le Tribunal fédéral à revoir le fond de l’affaire, ce qui est inadmissible. Le Tribunal fédéral rejette dès lors ce dernier grief.

En conclusions, le Tribunal fédéral déclare la demande de suspension irrecevable et rejette le recours pour le surplus.

Proposition de citation : Simone Schürch, La suspension de la procédure de reconnaissance selon la CL, in : www.lawinside.ch/285/