Le litige sur la validité du congé et la “protection contre les congés” au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC

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ATF 142 III 402TF, 21.06.2016, 4A_636/2015*

Faits

Un bailleur dépose une demande en procédure ordinaire à l’encontre de son locataire, dans laquelle il prend six conclusions. Il demande au juge de constater que le bail a pris fin au 1er octobre 2013 (I), de condamner le locataire au paiement de 72’600 francs à titre d’indemnité pour occupation illicite (II), de condamner le locataire au paiement de 1’650 francs à titre d’arriérés de frais accessoires (III), d’astreindre le locataire à libérer immédiatement les locaux occupés (IV) et à restituer toutes les clés permettant l’accès à l’immeuble (V) et enfin de donner l’ordre aux agents de la force publique d’exécuter le jugement s’ils en sont requis (VI).

Le Président du Tribunal des baux du canton de Vaud déclare la demande recevable. Sur appel du locataire, le Tribunal cantonal vaudois considère que seules les conclusions II et III, visant à condamner le locataire au paiement de 72’600 francs et 1’650 francs sont recevables. Le Tribunal cantonal considère que les conclusions I, IV, V, VI entrent dans le champ d’application de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, qui soumet les litiges portant sur la protection contre les congés à la procédure simplifiée, sans égard à la valeur litigieuse. Ainsi, ces conclusions sont irrecevables, dès lors qu’elles relèvent non pas de la procédure ordinaire, mais de la procédure simplifiée.

Le bailleur forme un recours en matière civile contre l’arrêt du Tribunal cantonal vaudois. Il conclut à ce que le Tribunal fédéral retienne que l’ensemble de ses conclusions sont recevables en procédure ordinaire. Le Tribunal fédéral doit ainsi préciser la notion de « protection contre les congés » au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC.

Droit

En vertu de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure simplifiée s’applique quelle que soit la valeur litigieuse notamment aux litiges portant sur des baux à loyer en ce qui concerne la protection contre les congés ou la prolongation du bail à loyer.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 243 al. 2 CPC soumet impérativement certains litiges à la procédure simplifiée notamment dans le but de protéger la partie faible, dans la mesure où le juge a une plus grande implication dans la procédure simplifiée que dans la procédure ordinaire. En particulier, dans les affaires visées par l’art. 243 al. 2 let. c CPC, la maxime inquisitoire sociale s’applique (cf. art. 247 al. 2 CPC). Le juge n’est ainsi pas lié par les allégations des parties et par leurs offres de preuve. Les parties doivent toutefois collaborer activement à l’établissement des faits.

Le Tribunal fédéral constate qu’il ne s’est jamais prononcé sur la notion de « protection contre les congés » au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Le champ d’application de cette disposition fait l’objet d’une controverse dans la doctrine francophone. Une partie de la doctrine considère que la notion de « protection contre les congés » se réfère au chapitre trois du titre huit du Code des obligations (intitulé : « Protection contre les congés concernant les baux d’habitation et les locaux commerciaux » ; art. 271 à 273c CO) et viserait ainsi uniquement les procès qui portent strictement sur l’annulation du congé ou la prolongation du bail. Selon ces auteurs, les litiges portant sur la nullité ou l’inefficacité du congé ne tomberaient pas sous le coup de l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Une autre partie de la doctrine, majoritaire, interprète la notion de « protection contre les congés » de l’art. 243 al. 2 let. c CPC de manière large et considère qu’elle vise non seulement les litiges portant sur l’annulation et la prolongation du bail, mais aussi les litiges portant sur l’inefficacité et la nullité du bail.

Pour rappel, un congé est annulable lorsqu’il respecte certes les délais, mais qu’il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 CO). Le congé est inefficace lorsqu’il est donné de manière anticipée. Enfin, le congé est nul lorsqu’il n’est pas donné dans la forme requise par la loi (art. 266o CO). Lorsque, comme dans le cas d’espèce, le bailleur lance une procédure en expulsion du locataire, le juge doit au préalable analyser d’office la question de savoir si le congé est nul ou inefficace.

Le Tribunal fédéral rejoint la position du Tribunal cantonal vaudois et de la doctrine majoritaire et considère que la notion de « protection contre les congés » au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC doit être interprété de manière large et viser non seulement les litiges portant sur l’annulation et la prolongation, mais aussi ceux portant sur l’inefficacité et la nullité du congé. Il considère que le but de l’art. 243 al. 2 let. c CPC est de protéger le locataire, en tant que partie faible. Le locataire a un même besoin de protection dans une procédure en annulation du congé que dans une procédure tendant à constater la nullité ou l’inefficacité du congé. Rien ne justifie ainsi de traiter différemment ces litiges au niveau procédural.

En conclusion, le Tribunal fédéral considère que la notion de « protection contre les congés » au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC vise non seulement les procédures portant sur la protection contre les congés stricto sensu (annulation et prolongation du bail), mais aussi les litiges portant sur la validité du congé (nullité et inefficacité).

En l’espèce, les conclusions I, IV, V, VI tendent à l’expulsion du locataire. Pour donner suite à cette demande, le juge doit au préalable analyser d’office la validité du congé. Une telle analyse doit avoir lieu dans une procédure simplifiée et non pas dans une procédure ordinaire, conformément à l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours et confirme la décision du Tribunal cantonal vaudois qui a déclaré irrecevables les conclusions I, IV, V et VI, faute d’avoir été déposées en procédure simplifiée.

Note

Dans l’arrêt TF, 4A_451/2011, c. 2 (29.11.2011), le Tribunal fédéral avait admis sans commentaire que le litige en cause, qui portait sur une procédure d’expulsion d’un locataire congédié en raison de sa demeure dans le paiement du loyer (cf. art. 257d CO), relevait de la procédure simplifiée. Dans l’arrêt TF, 4A_87/2012, c. 3.2.3 (10.04.2012), le Tribunal fédéral avait exposé la controverse portant sur la notion de “protection contre les congés” au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, sans toutefois trancher la question. Dans l’ATF 139 III 457, c. 5.3, il avait retenu qu’un litige relève de la protection contre les congés du moment que le locataire rend des conclusions principales ou subsidiaires en annulation et/ou en prolongation du bail. Il n’avait toutefois pas tranché la question de savoir si le litige portant sur la validité du bail tombait sous le coup de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, ce qu’il a admis dans le présent arrêt. Enfin, dans l’arrêt TF, 4A_270/2015, c. 4.2 (14.04.16)*, www.lawinside.ch/240, le Tribunal fédéral a retenu qu’une affaire tombe aussi sous le coup de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, et est donc soumise à la procédure simplifiée, lorsque le locataire prend une conclusion en prolongation de bail à titre subsidiaire et non pas à titre principal.

Proposition de citation : Alborz Tolou, Le litige sur la validité du congé et la “protection contre les congés” au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, in : www.lawinside.ch/288/

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