La transmission du SIDA – lésion corporelle grave ou simple ?

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ATF 141 IV 97 | TF, 24.03.2015, 6B_768/2014*

Faits

Un homme est accusé d’avoir transmis volontairement le SIDA à 16 personnes. Avec le prétexte de soigner des individus malades de SIDA et de suivre leur processus de guérison, il a pu rassembler du sang infecté, qu’il a par la suite utilisé pour transmettre le virus sur des nouvelles victimes non malades en employant des aiguilles (traitement d’ « acuponcture »).

Le Tribunal régional de Berne-Mittelland condamne le prévenu à une peine privative de liberté de 12 ans et 9 mois pour lésions corporelles graves répétées (art. 122 CP) et propagation d’une maladie de l’homme (art. 231 ch. 1 1ère phrase CP). Sur appel de ce dernier, l’Obergericht confirme la culpabilité du prévenu et le condamne à 15 ans de peine privative de liberté.

Le prévenu saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière pénale. Pour l’essentiel, il conteste la condamnation pour lésions corporelles graves en estimant qu’il ne s’agirait que de lésions corporelles simples.

La question topique est donc celle de la qualification juridique du comportement d’une personne qui infecte volontairement d’autres personnes du virus du SIDA.

Droit

L’Obergericht a qualifié l’infection de SIDA comme étant de manière générale une atteinte grave à la santé au sens de l’art. 122 al. 3 CP (critère objectif). Il a retenu que les conséquences physiques, psychiques et sociales sur la personne touchée sont encore à nos jours extrêmement graves. De plus, un malade de SIDA est désavantagé en ce qui concerne sa vie professionnelle, sa vie de couple et sa position à l’intérieur de la société. Enfin, les conséquences psychologiques de ces difficultés sont elles aussi considérables. Les personnes atteintes du SIDA subissent toutes ces conséquences de la même manière, de sorte qu’il se justifie de retenir de manière abstraite qu’il s’agit d’une lésion corporelle grave, sans qu’il soit nécessaire d’analyser dans chaque cas concret les atteintes subies par les victimes.

En s’appuyant sur la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, le recourant estime que l’infection du SIDA ne constitue pas en tant que telle une lésion corporelle grave. A son sens, l’Obergericht aurait dû analyser concrètement pour chaque victime si une atteinte grave au sens de l’art. 122 al. 3 CP pouvait être retenue ou non (critère subjectif).

Dans son ancienne jurisprudence, le Tribunal fédéral qualifiait l’infection de SIDA comme lésion corporelle grave mettant une personne en danger de vie (art. 122 al. 1 CP ; ATF 125 IV 242 ; ATF 131 IV 1). Il retenait ainsi, en application de l’alinéa 1, que le SIDA était en tant que tel une lésion corporelle grave (critère objectif). Cette qualification juridique se justifiait par la grande probabilité que la maladie se termine avec la mort de la victime.

Le Tribunal fédéral a récemment changé sa jurisprudence (ATF 139 IV 214 ; ATF 140 V 356). Dans ces arrêts, il a estimé que les développements en matière médicale permettent désormais aux personnes atteintes de SIDA de mener une vie presque normale. Ainsi, on ne peut plus retenir que l’infection de SIDA représente un danger pour la vie au sens de l’art. 122 al. 1 CP. Cependant, les conséquences de la maladie sur la vie de la personne infectée demeurent très importantes.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que l’application de l’art. 122 al. 3 CP faite par l’Obergericht est conforme au droit fédéral. Dans les affaires précédentes (ATF 139 IV 214 ; ATF 140 V 356), il s’était limité à constater qu’on ne pouvait plus qualifier de manière générale l’infection de SIDA de lésion corporelle grave au sens de l’art. 122 al. 1 CP, sans tenir compte du cas particulier. Toutefois, il n’avait volontairement pas tranché la question de savoir si le SIDA pouvait, selon les circonstances du cas, tomber sous le coup de la clause générale prévue à l’art. 122 al. 3 CP (« toute autre atteinte grave »). Dans le cas présent, le Tribunal fédéral admet cette qualification et confirme également l’application du critère objectif dans le cadre de l’art. 122 al. 3 CP, ce qui permet de retenir que la transmission du SIDA aux victimes est constitutive de lésions corporelles graves – sans analyse circonstanciée du cas de chaque personne infectée.

Le recours est rejeté.

Note : Premièrement, le Tribunal fédéral confirme sa nouvelle jurisprudence en considérant que le SIDA n’est plus (en tant que tel) constitutif de lésion corporelle grave au sens de l’art. 122 al. 1 CP (“blesser quelqu’un de façon à mettre sa vie en danger”). Secondement, il ouvre – pour la première fois – le champ d’application de la clause générale prévue à l’alinéa 3 (“faire subir à une personne toute autre atteinte grave”). Toutefois, il n’affirme pas explicitement que l’infection de SIDA représente dans tous les cas une lésion corporelle grave en application de l’art. 122 al. 3 CP – comme c’était le cas auparavant sous l’empire de l’alinéa 1. Cela dit, il considère qu’en l’espèce il possédait suffisamment d’éléments pour conclure qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques (confirmées par une expertise judiciaire), il pouvait être retenu que l’infection de SIDA est constitutive de lésion corporelle grave au sens de l’alinéa 3, et ce même sans analyse du cas particulier (critère objectif). Ainsi, le Tribunal fédéral semble revenir sur son ancienne jurisprudence en qualifiant l’infection du SIDA de lésion corporelle grave, cette fois en application de la clause générale prévue à l’art. 122 al. 3 CP.

Proposition de citation : Simone Schürch, La transmission du SIDA – lésion corporelle grave ou simple  ?, in : www.lawinside.ch/29/