L’imposition d’un abandon de créance dépourvu de valeur (art. 16 al. 1 LIFD)

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ATF 142 II 197

Faits

Une banque procède en faveur d’un client débiteur en difficulté financière à un abandon de créance à hauteur de 1’000’000 francs.

Dans sa décision de taxation, l’Administration fiscale cantonale impose au titre de revenu le montant de 1’000’000 francs, correspondant à la créance abandonnée par la banque. Le client forme une réclamation contre le bordereau de taxation, réclamation que l’Administration fiscale cantonale rejette. Le Tribunal administratif de première instance et la Cour de justice confirment le bordereau de taxation.

Le client forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit trancher la question de savoir si l’abandon de créance dont a bénéficié le client constitue un revenu imposable au sens de l’art. 16 al. 1 LIFD.

Droit

Selon l’art. 16 al. 1 LIFD, sont imposables “tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques”. Selon la jurisprudence, l’abandon de créance bancaire en faveur d’un client débiteur est fiscalement considéré comme un revenu pour ce dernier (ATF 140 II 353, c. 2.2). Lorsque la dette remise est privée, il s’agit, selon la théorie de l’accroissement de la fortune nette, d’un revenu imposable en vertu de la clause générale de l’art 16 al. 1 LIFD.

En l’espèce, dans le but d’assainir l’endettement du client envers la banque, il était convenu que la banque procède à un abandon de créance à hauteur de 1’000’000 francs. Cet abandon de créance diminue la dette du client envers la banque, sans contrepartie équivalente. Ainsi, l’abandon de créance constitue un élément du revenu du client qui tombe sous le coup de l’art. 16 al. 1 LIFD.

Le contribuable conteste ce raisonnement. Il soutient que, compte tenu de sa mauvaise situation financière, la créance litigieuse doit être considérée comme étant sans valeur. Selon l’arrêt TF, 2C_120/2008 (13.08.2008), l’abandon d’une créance dépourvue de valeur (“non-valeur”) ne constituerait pas un revenu pour le débiteur. Il faudrait ainsi distinguer entre la valeur nominale et valeur effective de la créance. Seule la valeur effective pour le créancier devrait être prise en considération pour l’impôt sur le revenu du débiteur.

Au considérant 3.1 de l’arrêt précité, le Tribunal fédéral s’est arrêté sur la question de la valeur qu’on peut attribuer à une créance que la banque avait abandonnée en faveur de son débiteur. En vertu de l’interdiction de la reformatio in pejus, le Tribunal fédéral ne s’est toutefois pas prononcé sur la question de savoir si on doit imposer la totalité de la valeur nominale de la créance abandonnée, et donc ne pas tenir compte – contrairement à ce qui avait été fait dans le cas d’espèce par les autorités fiscales – de la solvabilité du débiteur ou la valeur effective de la créance. On pourrait déduire de ce considérant qu’il serait permis de ne pas imposer la différence entre, d’une part, la valeur nominale d’une dette contractée et, d’autre part, sa valeur effective dans la perspective du créancier et ainsi tenir compte de la solvabilité du débiteur. Dans l’arrêt en question, le Tribunal fédéral s’était toutefois expressément refusé le droit de trancher la question de savoir si c’est à bon droit que les autorités fiscales avaient imposé comme revenu la créance abandonnée en lui conférant une valeur effective inférieure à celle de la créance nominale en partant de la perspective du créancier. Ainsi, le considérant 3.1 de l’arrêt précité constitue un simple obiter dictum, dépourvu de valeur de précédant.

Selon le Tribunal fédéral, déterminer si l’abandon de créance accroît ou non la capacité économique du débiteur ne dépend pas de la question de savoir si le créancier pourra un jour recouvrer sa créance. Ainsi, la prise en considération par le créancier de la solvabilité du débiteur pour qualifier sa créance de non-valeur n’est pas pertinente par rapport à la question de l’imposition de l’abandon de créance. Il est au contraire décisif d’établir, dans la perspective du débiteur, si l’abandon de créance élargit la marge de manœuvre financière dont il dispose, peu importe l’état antérieur de sa fortune et de ses dettes.

Le Tribunal fédéral considère que l’abandon de créance a en toute hypothèse pour effet d’améliorer la situation économique du débiteur. Par conséquent, on doit le qualifier dans sa totalité de revenu imposable selon l’art. 16 al. 1 LIFD.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours du contribuable.

Proposition de citation : Tobias Sievert, L’imposition d’un abandon de créance dépourvu de valeur (art. 16 al. 1 LIFD), in : www.lawinside.ch/290/