Le droit à la transparence et la protection des données

Télécharger en PDF

ATF 142 II 340TF, 27.06.16, 1C_137/2016*

Faits

Un particulier souhaite obtenir l’accès à des documents relatifs à l’autorisation d’un certain médicament, en application de la Loi sur la transparence (LTrans). Après avoir entendu la société qui commercialise ce médicament, Swissmedic refuse de communiquer les documents ayant trait à l’identité et aux activités des experts privés qui se sont prononcés sur le médicament. Cette décision va à l’encontre des recommandations du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, lequel avait préconisé un accès partiel à ces informations.

Sur recours, le Tribunal administratif fédéral autorise en partie l’accès aux documents concernés, conformément aux recommandations du Préposé. La société qui commercialise le médicament forme recours au Tribunal fédéral. La question topique est en particulier celle de la relation entre le principe de la transparence et le droit des experts privés concernés à la protection de leurs données personnelles.

Droit

Le principe de la transparence (art. 6 LTrans) donne  à chaque particulier un droit subjectif et individuel de consulter les documents officiels, indépendamment de tout motif ou intérêt, sous réserve des exceptions légales.

En l’espèce, les documents auxquels l’accès est sollicité contiennent des données personnelles. L’art. 19 al. 1bis LPD permet aux autorités de communiquer des données personnelles en vertu de la LTrans lorsque (1) les données concernées sont en rapport avec l’accomplissement de tâches publiques et (2) leur communication répond à un intérêt public prépondérant. La première condition est toujours remplie s’agissant de documents officiels au sens de l‘art. 5 LTrans. La seconde condition exige une pesée des intérêts en présence.

La LTrans prévoit pour sa part une exception au principe de la transparence lorsque l’accès aux documents pertinents risque de porter atteinte à la sphère privée de tiers, l’intérêt public à la transparence pouvant néanmoins exceptionnellement être jugé prépondérant (art. 7 al. 2 LTrans).

La question de la relation entre l‘art. 19 al. 1 bis LPD et l’art. 7 al. 2 LTrans peut rester ouverte, dans la mesure où ces deux dispositions exigent une pesée des intérêts entre l’intérêt public à la transparence et l’intérêt privé à la confidentialité des données personnelles. La transparence permet en particulier un contrôle démocratique de l’activité des autorités et sert ainsi la confiance des citoyens dans les institutions étatiques.  Le poids qu’il convient d’accorder à l’intérêt privé au maintien de la confidentialité des données personnelles dépend des circonstances du cas concret, en particulier des conséquences de la révélation pour la personne concernée.

En l’espèce, les experts privés jouent un rôle significatif dans l’autorisation d’un médicament. Il existe de ce fait un intérêt public considérable à ce que leurs qualifications et d’éventuels conflits d’intérêts soient connus. La recourante fait valoir que les experts subiraient un préjudice important en cas de révélation de leur identité, dans la mesure où on pourrait leur reprocher d’avoir influencé les autorités. Le Tribunal fédéral relativise toutefois la portée de cet argument, dans la mesure où les experts se sont simplement acquittés de la tâche que leur impartit la Loi fédérale sur les médicaments. L’intérêt public à la transparence apparaît ainsi de prime abord devoir prévaloir sur l’intérêt privé à la confidentialité des données personnelles.

En vertu de l’art. 11 al. 1 Trans, lorsqu’une autorité envisage de donner suite à une demande d’accès à des documents officiels contenant des données personnelles, elle invite la personne concernée à se prononcer. La loi prévoit ainsi une procédure en plusieurs étapes : l’autorité procède tout d’abord à une première pesée des intérêts. Si l’intérêt public à la transparence apparaît prima facie prépondérant, il faut alors entendre la personne dont les données seraient révélées. La pesée des intérêts définitive intervient après cette audition.

Selon la doctrine et la jurisprudence (cf. en particulier l’arrêt TF, 02.12.2015, 1C_50/2015), on peut renoncer à la consultation des personnes concernées dans certains cas, bien que la loi ne prévoie pas expressément d’exceptions. En l’espèce, l’instance précédente a retenu qu’il n’était pas nécessaire d’entendre les experts privés concernés, au motif que la société recourante aurait déjà fait valoir tous les intérêts privés pertinents. Selon le Tribunal fédéral, les écritures de la société recourante ne traitent toutefois pas de façon détaillée des intérêts que pourraient faire valoir les experts. En particulier, on ne peut pas exclure que la révélation des noms de certains d’entre eux puisse nuire à leur réputation professionnelle ou à d’autres aspects de leur carrière en raison d’une situation professionnelle particulière. Permettre de renoncer à l’audition des personnes concernées de façon aussi large aurait pour effet de transformer la règle de l’art. 11 al. 1 Trans en exception, ce qui irait à l’encontre des droits de la personnalité des individus concernés.

Partant, la décision de l’instance précédente repose sur une pesée des intérêts incomplète, les experts privés n’ayant à tort pas été entendus. Le Tribunal fédéral admet dès lors partiellement le recours et renvoie l’affaire au Tribunal administratif fédéral pour nouvelle décision après audition des experts.

Note

A l’heure actuelle, la société civile exige tant une transparence accrue de l’administration qu’une meilleure protection des données personnelles. Or, ces deux revendications peuvent entrer en tension. La LTrans tranche par principe en faveur de la protection des données, tout en permettant de faire exceptionnellement prévaloir l’intérêt public à la transparence (art. 7 al. 2 LTrans). Lorsque l’autorité envisage exceptionnellement de donner accès aux documents contenant des données personnelles, l’obligation d’inviter la personne concernée à se prononcer (art. 11 al. 1 Trans) concrétise tant le droit d’être entendu de celle-ci (art. 29 al. 2 Cts. féd.) que son droit à la vie privée, lequel comprend le droit d’être protégé contre l’emploi abusif de ses données (art. 13 al. 2 Cst. féd.). Dans un arrêt récent (cf. TF, 02.12.2015, 1C_50/2015), le Tribunal fédéral avait admis qu’on pouvait renoncer à l’audition des personnes concernées, dans les cas où (1) il aurait été compliqué de procéder à ces auditions, une quarantaine d’entités étant concernées, (2) il était peu probable que ces personnes fassent valoir des intérêts qui n’avaient pas déjà été pris en compte, et où (3) les données pertinentes avaient pour la plupart déjà été publiées dans le cadre de la procédure d’adjudication. L’arrêt TF, 27.06.16, 1C_137/2016* résumé ici limite de façon bienvenue le champ d’application de cette jurisprudence, de façon à préserver l’important garde-fou de l’art. 11 al. 1 Trans et ainsi de garantir de manière effective la protection des droits fondamentaux des personnes concernées.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Le droit à la transparence et la protection des données, in : www.lawinside.ch/295/

3 réponses

Les commentaires sont fermés.