La responsabilité pénale de l’entreprise (art. 102 CP) et le blanchiment d’argent (art. 305bis CP)

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ATF 142 IV 333 | TF, 11.10.2016, 6B_124/2016*

Faits

Une société reçoit sur son compte postal de l’argent qui provient d’un crime. En février 2005, l’administrateur unique de cette société appelle un office postal et demande de retirer en espèces 4’600’000 francs sur ce compte. L’employé de la poste contacte le département compliance qui vérifie uniquement s’il y a assez d’argent sur le compte postal de la société. L’employé compliance ne procède cependant a aucune autre vérification. L’administrateur retire alors cette somme et est condamné en 2013 pour blanchiment d’argent (art. 305bis CP).

Une procédure pénale est ouverte à l’encontre de l’employé qui a exécuté le paiement en espèces à l’administrateur, mais cette procédure est ensuite suspendue en 2008. Aucune procédure n’est ouverte en revanche vis-à-vis de l’employé compliance de la poste.

En parallèle, le Ministère public de Soleure ouvre une procédure à l’encontre de la poste suisse pour blanchiment d’argent (art. 305bis CP). L’Amtsgericht la reconnait coupable, mais, sur appel, l’Obergericht la libère de toute charge. Le Ministère public de Soleure exerce un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral qui doit préciser les conditions de la responsabilité pénale de l’entreprise (art. 102 CP).

Droit

L’art. 102 al. 1 CP prévoit qu’un crime ou un délit qui est commis au sein d’une entreprise dans l’exercice d’activités commerciales conformes à ses buts est imputé à l’entreprise s’il ne peut être imputé à aucune personne physique déterminée en raison du manque d’organisation de l’entreprise. Dans ce cas, l’entreprise est punie d’une amende de cinq millions de francs au plus.

L’art. 102 al. 2 CP précise qu’en cas d’infraction prévue aux art. 260ter, 260quinquies, art. 305bis, 322ter, 322quinquies, 322septies, al. 1, ou 322octies, l’entreprise est punie indépendamment de la punissabilité des personnes physiques s’il doit lui être reproché de ne pas avoir pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une telle infraction.

On distingue ainsi entre la responsabilité subsidiaire (art. 102 al. 1 CP ) et primaire (art. 102 al. 2 CP ) de l’entreprise.

La responsabilité subsidiaire de l’entreprise est engagée à condition qu’il existe un déficit dans l’organisation qui a pour conséquence d’empêcher l’imputation de l’acte à une personne naturelle. Tel est le cas si on ne peut pas déterminer l’auteur ou si plusieurs personnes peuvent l’avoir été, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle est effectivement responsable. La responsabilité primaire de l’entreprise est engagée lorsque la désorganisation de l’entreprise entraîne une infraction mentionnée à l’alinéa 2.

Dans les deux cas, un crime ou délit doit avoir été commis. Le Tribunal fédéral considère que tant les éléments objectifs que subjectifs de l’infraction doivent être réalisés. La distinction entre ces deux alinéas réside dans le fait que, dans le cas de la responsabilité primaire de l’entreprise, un individu peut également être poursuivi, ce qui ne peut pas être le cas en matière de responsabilité subsidiaire.

En l’espèce, le blanchiment d’argent (art. 305bis CP) constitue une infraction citée à l’art. 102 al. 2 CP. On se trouve donc dans un cas de responsabilité primaire de l’entreprise. Le paiement par l’officier de la poste des 4.6 millions de francs suisses remplit effectivement les éléments objectifs du blanchiment d’argent. Toutefois, le Ministère public, dans sa décision de suspendre la procédure contre l’officier de la poste, a reconnu lui-même que l’élément subjectif du blanchiment d’argent n’était pas rempli par cette personne. Il en est de même pour l’employé compliance contre lequel aucune procédure pénale n’a été ouverte. Partant, la condition de l’existence d’un crime ou un délit n’est pas remplie puisque l’élément subjectif de l’infraction n’est pas réalisé.

En réponse aux critiques du Ministère public, le Tribunal fédéral souligne que la condition de la réalisation de l’infraction par un individu, c’est-à-dire que tant les éléments constitutifs objectifs que subjectifs soient donnés, existe également dans un cas de responsabilité primaire. Si tel n’était pas le cas, l’entreprise serait soumise à une responsabilité causale lors d’un déficit dans l’organisation dès que les éléments objectifs d’une infraction seraient réalisés. Selon le Tribunal fédéral, ce type de responsabilité ne correspond ni au sens de la loi ni à la volonté du législateur.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Note

Toutes les infractions mentionnées à l’art. 102 al. 2 CP sont des infractions intentionnelles. Partant, l’entreprise ne sera punissable qu’à la condition qu’une personne physique au sein de l’entreprise ait eu l’intention de commettre l’infraction ou qu’elle ait agi par dol éventuel. Le simple fait que les conditions objectives d’une infraction soient réalisées, comme dans le cas d’espèce avec le blanchiment d’argent, ne suffit donc pas.

Le Tribunal fédéral souligne le fait que le Ministère public soleurois n’a pas assez instruit la procédure à l’encontre des employés de la Poste. Le fait que le Ministère public ait suspendu la procédure à l’encontre de l’officier de la poste et qu’il n’ait pas ouvert de procédure pénale contre l’employé compliance a eu pour conséquence qu’il n’a pas pu prouver que l’intention de commettre un acte de blanchiment d’argent était donnée.

Enfin, dans un ober dictum, le Tribunal fédéral se penche sur la nature de l’art. 102 CP et se demande notamment si cette disposition est une nouvelle incrimination sui generis de sorte qu’elle constituerait une contravention au sens de l’art. 103 CP, dans la mesure où la sanction de l’art. 102 al. 2 CP consiste au paiement d’une amende  – ou une règle d’imputation. Le Tribunal fédéral semble pencher pour la solution d’une nouvelle incrimination, ce qui parait toutefois discutable.

Pour un résumé et une analyse pertinente de l’arrêt cantonal, cf. Othmar Strasser/Katia Villard, in : forumpoenale 4/2016 p. 196 ss.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La responsabilité pénale de l’entreprise (art. 102 CP) et le blanchiment d’argent (art. 305bis CP), in : www.lawinside.ch/342/