La production de preuve par Facebook Switzerland

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ATF 143 IV 21TF, 16.11.16, 1B_185/2016*

Faits

Un journaliste fait l’objet de diffamations sur Facebook et dépose une plainte pénale contre inconnu. Le ministère public requiert de la société Facebook Switzerland Sàrl la production de l’identité du détenteur du compte et les adresses IP utilisées pour poster les commentaires injurieux sous menace de la peine prévue par l’art. 292 CP. Facebook Switzerland recourt au Tribunal cantonal, puis au Tribunal fédéral en soulevant qu’elle ne possède pas ces données et qu’une ordonnance de production de preuve ne peut pas être rendue à son encontre.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle qu’une décision de production de pièces est une décision incidente, sujette à recours notamment si elle cause un préjudice irréparable (cf. art. 93 al. 1 lit. b LTF). Tel est le cas lorsqu’une décision de ce type est assortie des peines prévues à l’art. 292 CP, comme en l’espèce. Partant, le recours en matière pénale est ouvert.

L’ordre de dépôt (art. 265 CPP) permet au ministère public d’obtenir auprès de leurs détenteurs les objets ou valeurs qui feront l’objet d’un séquestre. L’art. 265 CPP ne nécessite pas l’accord du tribunal des mesures de contrainte, contrairement à la surveillance de la correspondance par poste ou télécommunication (cf. art. 269 ss CPP et LSCPT). Les règles de surveillance de la correspondance ne s’appliquent cependant qu’en présence d’un fournisseur de télécommunication, comme un fournisseur d’accès Internet. Un réseau social ne fournit pas l’accès à Internet et n’est donc pas soumis aux dispositions relatives à la surveillance de la correspondance. C’est donc à bon droit que le ministère public s’est fondé sur l’art. 265 CPP pour exiger la production de l’identité du titulaire du compte et ses adresses IP.

Il ressort de l’art. 265 CPP que la personne visée par une ordonnance de production de preuve doit avoir le contrôle en fait et en droit des données (détenteur). Or, dans le cas présent, Facebook Switzerland ne possède pas les informations requises. En effet, cette société a uniquement pour but de fournir des services publicitaires et de marketing. Les utilisateurs européens du réseau social n’ont un contrat qu’avec la société Facebook Irlande qui contrôle seule les données personnelles de ses clients. Partant, la société suisse de Facebook n’est pas la détentrice des données sollicitées. Enfin, le Tribunal fédéral considère qu’on ne peut pas retenir un lien de représentation entre deux sociétés lors d’une procédure pénale tendant à la production de pièces.

Au regard de ce qui précède, le Tribunal fédéral constate que le ministère public ne pouvait pas adresser un ordre de dépôt à Facebook Switzerland et qu’il devait passer par la voie de l’entraide judiciaire. Le Tribunal fédéral admet donc le recours.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral ne suit pas l’arrêt Google Street View où il avait admis la légitimation passive de la succursale suisse de Google en matière de traitement de données personnelles (ATF 138 II 346). Pour le Tribunal fédéral, la jurisprudence retenant la légitimation passive d’une succursale suisse en raison d’un lien étroit avec l’activité de la société mère ne s’applique pas à une procédure pénale de production de preuve, car l’élément déterminant réside dans la détention des informations requises.

A noter finalement que le Tribunal fédéral a rendu le même jour un arrêt similaire concernant la succursale suisse de Google (TF, 16.11.16, 1B_142/2016). Dans ce cas, le ministère public demandait, également sur la base de l’art. 265 CPP, l’identité du titulaire d’une adresse email du service de messagerie Gmail à Google Switzerland. Le Tribunal fédéral a suivi le même raisonnement que dans l’arrêt Facebook Switzerland et a considéré que le ministère public aurait dû s’adresser à Google Inc., faute pour la succursale suisse de posséder les informations requises.

Proposition de citation : Julien Francey, La production de preuve par Facebook Switzerland, in : www.lawinside.ch/357/

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