La compatibilité d’un certificat d’héritier égyptien avec l’ordre public suisse (art. 27 al. 1 LDIP)

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ATF 143 III 51 | TF, 21.11.2016, 5A_355/2016*

Faits

Un ressortissant égyptien de confession musulmane décède sans laisser de descendants. Le défunt laisse cependant son épouse, citoyenne allemande de confession chrétienne, qu’il avait mariée selon le droit égyptien. Le défunt laisse également ses frères et sœurs. La succession du de cujus comprend notamment des actifs déposés auprès de banques en Suisse.

Un tribunal égyptien établit un « acte d’hoirie  » qui constate le décès du de cujus et la dévolution de sa succession à ses frères et sœurs, à l’exclusion de l’épouse.

Les frères et sœurs, souhaitant obtenir les actifs du défunt déposés auprès des banques suisses, requièrent du Tribunal de première instance de Genève la reconnaissance de l’ « acte d’hoirie » égyptien. Le Tribunal de première instance reconnaît l’acte et le déclare exécutoire. Sur appel de l’épouse, la Cour de justice de Genève annule le jugement de première instance.

Les frères et sœurs forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la comptabilité de l’ « acte d’hoirie » égyptien avec l’ordre public (matériel) suisse (art. 27 al. 1 LDIP).

Droit

A titre liminaire, le Tribunal fédéral précise que l’ « acte d’hoirie » litigieux doit être qualifié de « certificat d’héritier  » au regard du droit suisse.

A teneur de l’art. 27 al. 1 LDIP (cum art. 31 LDIP), la reconnaissance d’une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public suisse. L’application de cette disposition, qui constitue une clause de réserve, suppose que l’affaire présente un lien suffisant avec l’Etat du juge requis, en l’espèce la Suisse (« Inlandsbeziehung  »).

En l’occurrence, l’ « acte d’hoirie » égyptien constate la dévolution de la succession du défunt à ses frères et sœurs, à l’exclusion de son épouse. Cette exclusion repose sur le fait qu’il n’y a, selon la législation égyptienne, pas de succession entre un musulman et un non musulman.

Le Tribunal fédéral estime que le résultat auquel aboutit l’application de l’ « acte d’hoirie » égyptien contrevient clairement au principe de l’interdiction de la discrimination en raison des convictions religieuses (art. 8 al. 2 Cst. ; cf. art. 14 CEDH et 26 Pacte ONU II). Ce principe fait partie de l’ordre public suisse et ce, indépendamment de sa valeur constitutionnelle.

En ce qui concerne la condition de la « Inlandsbeziehung  », le Tribunal fédéral mentionne l’existence d’un débat doctrinal sur la question de savoir si cette condition doit toujours être remplie pour que l’art. 27 al. 1 LDIP s’applique en cas de discriminations fondées notamment sur la religion. Le Tribunal fédéral laisse le débat ouvert, car il considère que des liens suffisants avec la Suisse existent en l’occurrence. En effet, les actifs successoraux du défunt se trouvent en Suisse.

Par conséquent, le Tribunal fédéral considère que la reconnaissance de l’ « acte d’hoirie » égyptien doit être refusée, car celle-ci est manifestement incompatible avec l’ordre public suisse (art. 27 al. 1 LDIP cum art. 31 LDIP).

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La compatibilité d’un certificat d’héritier égyptien avec l’ordre public suisse (art. 27 al. 1 LDIP), in : www.lawinside.ch/365/