Le coefficient d’adaptation pour les procédés de production utilisant des combustibles et de l’électricité (Ordonnance sur le CO2)

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ATF 143 II 87TF, 17.10.2016, 2C_8/2016*

Faits

Une société qui produit de la laine de roche est assujettie au système d’échange de quotas d’émission (SEQE) selon les art. 15 ss Loi sur le CO2. Elle est obligée de remettre chaque année à l’OFEV à hauteur des émissions qu’elle génère des droits d’émission et, dans la mesure où c’est admissible, des certificats de réduction des émissions de CO2.

Lors de l’attribution gratuite des droits d’émission à la société pour les années 2015 à 2020, l’OFEV tient compte d’un coefficient d’adaptation pour les émissions indirectes liées à la consommation d’électricité dans le procédé de production. Elle se fonde sur l’art. 46 al. 1 en lien avec ch. 4 annexe 9 de l’Ordonnance sur le CO2. Cela a pour conséquence une réduction du nombre de droits attribués. La société recourt au Tribunal administratif fédéral, qui confirme la décision de l’OFEV, puis forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Ce dernier doit examiner si le coefficient d’adaptation pour les procédés de production utilisant des combustibles et de l’électricité introduit par l’Ordonnance sur le CO2 est compatible avec le principe de la légalité (art. 5 al 1 Cst.), son application particulière en matière fiscale (art. 127 al. 1 et 164 al. 1 let. d Cst.) et le principe de causalité (art. 74 al. 2 Cst.).

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler les fondements du SEQE. Les entreprises assujetties à ce système sont exemptées de la taxe sur le CO2. En échange, elles doivent chaque année remettre à la Confédération des droits d’émission, c’est-à-dire des droits négociables qui autorisent l’émission de gaz à effet de serre (art. 2 al. 3 Loi sur le CO2), ou des certificats de réduction d’émission (art. 2 al. 4 Loi sur le CO2) à hauteur des émissions (directement) générées par leurs installations (art. 16 al. 2 Loi sur le CO2). Le Conseil fédéral fixe à l’avance la quantité totale de droits d’émission disponibles chaque année jusqu’en 2020 (art. 18 al. 1 Loi sur le CO2). Les droits d’émission sont attribués gratuitement chaque année aux entreprises concernées dans la mesure où ils sont nécessaires à une exploitation efficace de ces entreprises en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Les droits restants sont vendus aux enchères (art. 19 al. 2 Loi sur le CO2). Le Conseil fédéral règle les modalités en tenant compte des réglementations internationales comparables (art. 19 al. 3 Loi sur le CO2).

En l’espèce, c’est la quantité de droits d’émission à laquelle la recourante a droit gratuitement qui est litigieuse. Le calcul de cette quantité se fonde sur un référentiel de produit multiplié par certaines variables. Les référentiels définissent la quantité maximale des droits d’émission qui peuvent être attribués à titre gratuit par tonne d’un produit spécifique (art. 46 al. 1 et ch. 1.1 annexe 9 Ordonnance sur le CO2). Certains référentiels concernent des procédés de production qui peuvent être mis en œuvre aussi bien avec des combustibles qu’avec de l’électricité. La laine minérale en fait partie (ch. 4.2.5 annexe 9 Ordonnance sur le CO2, cf. ég. ch. 14 annexe 6). Dans ce cas, le ch. 4.1 annexe 9 Ordonnance sur le CO2 prévoit un coefficient d’adaptation particulier qui est ajouté à la formule d’attribution du ch. 2.1 annexe 9 de Ordonnance sur le CO2. Ce coefficient correspond à la part d’émissions directes aux émissions totales (qui se composent des émissions directes et indirectes).

Le Tribunal fédéral examine d’abord la compatibilité des dispositions précitées de l’Ordonnance sur le CO2 avec les règles de la Loi sur le CO2, en particulier avec l’art. 19 al. 2 et 3 (art. 5 al. 1 Cst.). Il relève à titre préliminaire que le législateur a intentionnellement délégué de larges pouvoirs de réglementation au Conseil fédéral, afin de garantir la compatibilité du SEQE suisse au système européen dans les détails. Pour réaliser son mandat, le Conseil fédéral s’est orienté sur SEQE européen pour définir en détail à l’art. 46 al. 1 et l’annexe 9 Ordonnance sur le CO2 le critère d’attribution des droits d’émission en fonction de l’exploitation efficace en termes d’émissions de gaz à effet de serre (art. 19 al. 2 Loi sur le CO2).

Le coefficient d’adaptation pour les procédés susceptibles d’être mis en œuvre aussi bien par des combustibles que par de l’électricité permet de tenir compte des émissions indirectes résultant de l’électricité utilisée et ainsi de garantir les mêmes conditions de concurrence aux installations consommatrices d’électricité ou de combustibles. Il ne change rien au fait que l’attribution à titre gratuit n’a lieu que dans la mesure où elle est nécessaire pour l’exploitation efficace en termes de gaz à effet de serre (art. 19 al. 2 Loi sur le CO2). Aucun droit d’émission n’est attribué pour la production d’électricité. En effet, les entreprises ne doivent remettre des droits d’émission ou des certificats de réduction que pour les émissions de gaz à effet de serre générées par leurs installations (art. 16 al. 2 Loi sur le CO2), soit que pour les émissions directes. Dès lors qu’une entreprise produit avec de l’électricité et non des combustibles, elle ne génère aucune émission directe et ne doit donc pas remettre de droits ou de certificats à la Confédération. En conséquence, il convient d’éviter une attribution à titre gratuit de droits d’émissions pour les émissions indirectes générées par l’électricité. Or, c’est précisément cet objectif que poursuit le coefficient d’adaptation, en autorisant une attribution à titre gratuit des droits que dans la proportion des émissions directes aux émissions totales. Sans le coefficient, les entreprises qui utilisent exclusivement de l’électricité se verraient attribuer à titre gratuit des droits d’émission, même si elles ne génèrent aucune émission directe et ne doivent pas remettre à la Confédération des droits ou des certificats. Il en résulterait une attribution à titre gratuit de droits d’émission qui ne sont pas nécessaires pour l’exploitation efficace en termes de gaz à effet de serre, ce qui contredirait l’art. 19 al. 2 Loi sur le CO2 et l’objectif de la loi (art. 1 al. 1 Loi sur le CO2). Le Tribunal fédéral constate en conclusion que les règles de l’ordonnance relatives au coefficient d’adaptation sont ainsi compatibles avec les dispositions légales et que le Conseil fédéral n’a pas excédé la délégation législative en les adoptant.

Le Tribunal fédéral examine ensuite la constitutionnalité des dispositions litigieuses de l’ordonnance au vu du principe de la légalité en matière fiscale (art. 127 al. 1 et 164 al. 1 let. d Cst.). Il affirme premièrement qu’il paraît douteux que le SEQE appartienne au droit des redevances. En effet, il s’agit d’un instrument économique régulatif, qui ne vise pas principalement des prestations pécuniaires en faveur de l’Etat. La majorité des droits d’émission sont d’ailleurs attribués à titre gratuit. Ils sont, ainsi que les certificats, librement négociables. Or, dès lors que la participation n’a pas obligatoirement pour conséquence une obligation pécuniaire envers la Confédération, on ne peut pas reconnaître sans autre au système un caractère de redevance.

En tout état de cause, le Tribunal fédéral signale que les principes du SEQE sont ancrés dans la loi elle-même. L’art. 16 al. 1 Loi sur le CO2 définit le cercle des entreprises concernées, l’art. 16 al. 2 le contenu de l’obligation attachée à la participation au système, soit la remise annuelle de droits d’émission ou de certificats de réduction. L’étendue de cette obligation se détermine en fonction des émissions générées par l’entreprise concernée. Enfin, le critère pour l’attribution à titre gratuit des droits découle de l’art. 19 al. 2 Loi sur le CO2. Les dispositions permettent donc un examen des prescriptions de l’Ordonnance sur le CO2 qui concrétisent le système du point de vue de leur constitutionnalité, de leur légalité et de leur conformité au but de la loi.

Enfin, le Tribunal fédéral relève que la valeur d’émission de l’électricité utilisée dans le coefficient d’adaptation (0,465 tonne de CO2 par MWh) est compatible avec le principe de causalité (art. 74 al. 2 Cst.). Le SEQE ne vise en effet pas une réduction des émissions indirectes liées à l’électricité. Dès lors, peu importe de savoir si la valeur d’émission de l’électricité que la recourante utilise est inférieure à la valeur retenue pour le calcul du coefficient.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme l’arrêt du Tribunal administratif fédéral.

Note

Le coefficient d’adaptation a déjà fait l’objet d’un précédent arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF, 26.03.2015, A-1919/2014). A l’époque, il n’était pas prévu par l’Ordonnance sur le CO2 et avait été jugé dénué de base légale. C’est à la suite de cet arrêt que le Conseil fédéral a modifié l’ordonnance et y a intégré le coefficient litigieux.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Le coefficient d’adaptation pour les procédés de production utilisant des combustibles et de l’électricité (Ordonnance sur le CO2), in : www.lawinside.ch/367/