Le respect de l’espace réservé aux eaux dans le hameau de Seestatt (art. 36a LEaux)

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ATF 143 II 77TF, 30.11.2016, 1C_558/2015*

Faits

Le hameau de Seestatt (AI) se situe sur une langue de terre directement le long du lac de Zurich. Il est inscrit à l’inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS). La « construction ancienne et compacte avec des auberges et des maisons de pêcheurs » (périmètre 1) revêt l’objectif de sauvegarde A ; les bandes riveraines entre la ligne ferroviaire et le lac sont attribuées à la zone de protection des environs I avec l’objectif de sauvegarde a.

Le 13 mai 2014, les propriétaires d’une parcelle sise dans le périmètre 1 déposent une demande de destruction d’une maison d’habitation existante et de construction d’une nouvelle. Des voisins font opposition à la demande. Les autorités cantonales compétentes délivrent les autorisations nécessaires et rejettent les oppositions. Parmi ces autorisations figure l’autorisation dérogatoire pour construire dans l’espace réservé aux eaux (art. 41c al. 1 2e phrase OEaux). Les voisins recourent et sont déboutés jusqu’en dernière instance cantonale. Ils forment alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, appelé à trancher si la construction litigieuse peut être autorisée de manière dérogatoire au sens de l’art. 41c OEaux.

Droit

Le Tribunal fédéral constate qu’aucun espace réservé aux eaux (art. 36a al. 1 LEaux) n’a pour le moment été délimité pour le lac de Zurich dans la commune concernée. Ce sont donc les dispositions transitoires de la modification de l’OEaux du 4 mai 2011 qui sont applicables. D’après elles, les prescriptions régissant les installations visées à l’art. 41c al. 1 OEaux (constructions dans l’espace réservé aux eaux) s’appliquent le long des eaux à une bande de chaque côté large de 20 m concernant les étendues d’eau d’une surface supérieure à 0,5 ha (al. 2 let. c). Dans cet espace, seules des installations dont l’implantation est imposée par leur destination et qui servent des intérêts publics peuvent être construites. Dans les zones densément bâties, les autorités peuvent en outre autoriser des installations conformes à l’affectation de la zone si aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (art. 41c al. 1 2e phr [depuis le 1er janvier 2016, let. a]).

En l’espèce, le projet litigieux se situe à 15 m du lac, c’est-à-dire empiète de 5 m sur l’espace réservé aux eaux. Dès lors que son implantation n’est manifestement pas imposée par sa destination, sa réalisation nécessite une autorisation dérogatoire selon l’art. 41c al. 1 OEaux. Cela suppose premièrement qu’il se situe dans une zone densément bâtie. Cette possibilité vise à permettre un développement de l’urbanisation vers l’intérieur et une densification urbaine souhaitable du point de vue de l’aménagement du territoire dans les villes ou les centres de villages densément bâtis. Elle part de l’idée qu’un espace réservé aux eaux ne pourrait de toute façon pas préserver les fonctions naturelles de l’eau sur le long terme. Hors des centres densément bâtis, c’est-à-dire dans les quartiers périphériques construits de manière plus éparpillée, il n’y a pas d’intérêt prépondérant à une densification de l’espace réservé aux eaux. La jurisprudence a par ailleurs déjà déterminé que « densément bâtie » va plus loin que « largement bâtie » au sens de l’art. 36 al. 3 LAT.

Pour apprécier le caractère de zone densément bâtie, il faut se concentrer sur le territoire le long de l’eau et pas sur le territoire urbanisé dans son ensemble. Le périmètre à prendre en compte doit être défini au cas par cas et être fixé dans une perspective suffisamment grande. Dans les petites communes en tout cas, il est en principe constitué du territoire de celles-ci. La fiche pratique de l’ARE et de l’OFEV « L’espace réservé aux eaux en territoire urbanisé » contient en outre une liste d’indices. Une zone de centre ou un nœud de développement plaide en faveur d’une zone densément bâtie, alors que la présence d’espaces verts importants ou d’espaces d’eau d’importance écologique ou agricole s’y oppose.

En l’espèce, le projet se situe dans le hameau de Seestatt, qui se situe sur les rives du lac et est séparé des territoires urbanisés principaux par une ligne ferroviaire et une ceinture verte. Il ne s’agit dès lors pas d’une région centrale ou d’un nœud de développement, mais d’une région périphérique. Une partie du hameau est certes densément bâtie, mais elle ne s’étend directement le long du lac que sur une longueur d’env. 100 m. A l’est et à l’ouest de la rive se trouvent de grandes surfaces vertes avec des bâtiments isolés. Le reste du hameau est d’ailleurs caractérisé par des jardins traditionnels et des arbres fruitiers. L’ISOS attribue en outre l’objectif de sauvegarde a aux environs, ce qui signifie que les surfaces vertes doivent être préservées en tant qu’éléments inévitables du paysage. Enfin, la parcelle du recourant se situe sur le bord ouest du hameau. Du côté tourné vers la route, il y a aujourd’hui une construction en bois, puis une surface de jardin s’étend jusqu’au lac. Du point de vue du développement de l’urbanisation, aucune densification dans cette direction n’est souhaitée. Il ne s’agit donc pas d’une brèche.

Dans ces conditions, il n’est pas possible d’admettre l’existence d’une zone densément bâtie. La première condition nécessaire à l’octroi d’une autorisation dérogatoire selon l’art. 41c al. 1 let. a OEaux fait ainsi défaut. Tant que la commune n’aura pas fixé de manière définitive l’espace réservé aux eaux, aucune construction limitant la marge de manœuvre de la commune et préjugeant négativement de planifications de revitalisation ne pourra être autorisée.

Pour le surplus, le Tribunal fédéral rappelle que l’autorisation dérogatoire serait de toute façon allée à l’encontre des intérêts prépondérants de la protection du paysage. L’octroi d’une telle autorisation représente en effet une tâche fédérale au sens des art. 78 al. 2 Cst. et 2 LPN. L’ISOS est donc directement applicable lors de la pondération des intérêts selon l’art. 41c al. 1 OEaux. L’inscription d’un objet d’importance nationale dans un inventaire de la Confédération démontre qu’il mérite d’en sauvegarder l’intégrité. Une dérogation ne peut être prise en considération que si des intérêts équivalents ou prépondérants d’importance nationale s’opposent au maintien (art. 6 al. 2 LPN). En l’espèce, le projet suppose la destruction d’une construction ancienne dans la région G1 avec objectif de sauvegarde A. Il va donc clairement à l’encontre des buts de protection de l’ISOS. Il empiète également sur la zone de protection des environs (objectif de sauvegarde a). Dans tous les cas, il soulève des questions de principe en lien avec un objet de protection de l’ISOS et aurait donc dû faire l’objet d’une expertise selon l’art. 7 al. 2 LPN.

Il résulte de ce qui précède que le recours doit être admis, la décision de l’autorité précédente annulée et le permis de construire rejeté.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Le respect de l’espace réservé aux eaux dans le hameau de Seestatt (art. 36a LEaux), in : www.lawinside.ch/371/