La détention préventive pour risque de récidive

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ATF 143 IV 9 | TF, 23.11.2016, 1B_373/2016*

Faits

Un individu accusé d’attouchements sexuels sur une fillette de neuf ans est mis en détention préventive. Par la suite, la détention préventive est prolongée en raison du risque de récidive. Le prévenu recourt contre la décision de prolonger la détention préventive. Débouté par l’instance cantonale supérieure, il forme recours auprès du Tribunal fédéral.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral est appelé à réexaminer sa jurisprudence selon laquelle le risque de récidive ne peut justifier la détention avant jugement que lorsque le pronostic est très défavorable.

Droit

La détention avant jugement peut être ordonnée en particulier lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit et qu’il y a sérieusement lieu de craindre qu’il compromette sérieusement la sécurité d’autrui par des crimes ou des délits graves après avoir commis des infractions du même genre (art. 221 al. 1 let. c CPP). Selon la jurisprudence fédérale établie sous l’empire des anciennes procédures pénales cantonales, au regard de la grave atteinte à la liberté personnelle du prévenu qu’implique la détention, le maintien en détention avant jugement n’est justifié par le risque de récidive que si (1) de graves infractions sont à craindre et (2) le pronostic est très défavorable.

Le Tribunal fédéral a maintenu cette jurisprudence sous l’empire du Code de procédure pénal fédéral (CPP). A teneur de jurisprudence, il n’y a ainsi sérieusement lieu de craindre que le prévenu compromette la sécurité d’autrui par des crimes ou des délits graves au sens de l’art. 221 al. 1 let. c CPP qu’en cas de pronostic très défavorable (ATF 137 IV 84). Les juges fédéraux ont toutefois retenu dans plusieurs arrêts non publiés relatifs à de graves infractions violentes ou sexuelles qu’au regard du besoin de protection des victimes, un degré très élevé de vraisemblance ne pouvait être exigé s’agissant du risque de récidive (cf. par ex. arrêt du 4 août 2016 TF 1B_270/2016 et arrêt du 25 février 2013 1B_50/2013). Il convient dès lors de réexaminer la jurisprudence selon laquelle seul un pronostic très défavorable peut justifier la détention avant jugement.

Trois éléments constitutifs caractérisent le risque de récidive justifiant la détention avant jugement au sens de l’art. 221 al. 1 let. c CPP : (1) le risque de récidive doit porter sur des crimes ou des délits graves. (2) Ceux-ci doivent sérieusement compromettre la sécurité d’autrui. (3) Enfin, de tels crimes et délits doivent être sérieusement à craindre, ceci étant déterminé au moyen d’un pronostic quant au risque de récidive. Plus les infractions à craindre sont graves et plus elles compromettent la sécurité d’autrui, moins les exigences en matière de pronostic doivent être élevées. Requérir un pronostic très défavorable lorsque les potentielles infractions sont très graves et compromettent très sérieusement la sécurité d’autrui exposerait les éventuelles victimes à un risque inadmissible. Au regard de ce qui précède, le Tribunal fédéral opère un revirement de jurisprudence et retient qu’un pronostic défavorable suffit à justifier la détention avant jugement. Un pronostic très défavorable ne saurait être exigé.

En l’espèce, une expertise psychiatrique préliminaire retient un pronostic plutôt favorable. Cette évaluation n’est toutefois pas finale et n’a dès lors qu’une portée limitée. En outre, les experts ignoraient au moment de leur pronostic que l’épouse du prévenu s’était suicidée pendant sa détention. Le prévenu a également perdu son emploi, de telle sorte que son ancrage social est très fragilisé. Enfin, une aggravation des agissements du prévenu peut être constatée. Celui-ci a en effet été précédemment condamné pour avoir consommé de la pornographie enfantine. Dans la procédure pendante, un passage à l’acte sur une fillette lui est reproché. Le pronostic est dès lors défavorable et justifie le maintien en détention. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Selon Tribunal fédéral, ce revirement de jurisprudence s’appuie sur une meilleure connaissance de la ratio legis et est dès lors admissible même s’il porte dans une certaine mesure atteinte à la sécurité du droit. Ceci est peu convaincant. La renonciation à exiger un pronostic très défavorable semble plutôt procéder d’un durcissement général de la justice pénale et d’une acceptation moindre du risque que peuvent représenter certains individus, en particulier en matière d’infractions sexuelles à l’encontre d’enfants. Il est difficile d’anticiper à ce stade la portée que revêtira en pratique la distinction entre un pronostic très défavorable et un pronostic « simplement » défavorable. On relèvera en tout état que dans le cas d’espèce, le Tribunal retient un pronostic défavorable en dépit d’une première expertise psychiatrique favorable au prévenu.

Il sied par ailleurs de rappeler que nonobstant la lettre de l’art. 221 al. 1 let. c, la jurisprudence admet la détention avant jugement même lorsque le prévenu n’a pas précédemment commis des infractions du même genre (ATF 137 IV 84).

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La détention préventive pour risque de récidive, in : www.lawinside.ch/377/

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