La violation du droit à la réplique (CourEDH)

Télécharger en PDF

CourEDH, 17.01.2017, Affaire C.M. c. Suisse, 7318/09

Faits

En 2004, un assuré dépose une action auprès du Sozialverischerungsgericht de Zurich contre sa caisse de pension. Il la retire suite à une transaction extrajudiciaire. En 2007, l’assuré – non assisté par un avocat – dépose une nouvelle action. Dans une réponse du 19 décembre 2007, la caisse de pension prétend que les prétentions de l’assuré ont déjà été entièrement réglées dans la transaction extrajudiciaire. Par décision du 12 mars 2008, le Sozialverischerungsgericht retient que le désistement d’action intervenu en 2004 tombe sous le coup de l’autorité de chose jugée (res judicata).

L’assuré exerce un recours auprès du Tribunal fédéral et prétend, notamment, qu’il n’a reçu la réponse de la caisse de pension que le 10 mars 2008 et qu’il n’a donc pas pu répliquer. Le Tribunal fédéral rejette le recours au fond et ne se prononce pas explicitement sur le grief de la violation du droit de réplique.

L’assuré dépose une requête auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en invoquant la violation de son droit de réplique.

Droit

La CourEDH se penche en premier lieu sur l’exception d’irrecevabilité élevée par la Suisse. Selon le gouvernement suisse, le requérant n’a subi aucun préjudice important, condition de recevabilité imposée par l’art. 35 al. 2 let. b CEDH. La CourEDH a déjà déclaré irrecevables des requêtes semblables lorsque les écritures qui n’avaient pas été communiquées à une partie ne contenaient aucun élément nouveau ou pertinent. En l’espèce, la CourEDH considère que le grief de l’autorité de chose jugée en raison de la transaction extrajudiciaire, tel qu’invoqué par la caisse de pension, constitue un élément nouveau. Partant, l’exception est écartée.

La CourEDH analyse ensuite le grief de l’épuisement des voies de recours. Selon le gouvernement suisse, le requérant aurait pu demander la révision de l’arrêt du Tribunal fédéral. La CourEDH rejette ce grief puisque le requérant n’a pas besoin d’utiliser des voies de recours extraordinaires avant de déposer une requête devant la CourEDH.

L’art. 6 CEDH prévoit notamment que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

En l’espèce, le gouvernement suisse admet que la réponse de la caisse de pension a été envoyée à l’assuré seulement le 4 mars 2008, mais il ne se prononce pas sur l’allégation de l’assuré selon lequel ce dernier a reçu la réponse le 10 mars 2008. La Cour estime ainsi que le Sozialverischerungsgericht a mis fin à l’échange d’écriture sans permettre à l’assuré de se prononcer sur la réponse. Partant, la Cour déclare, à l’unanimité, que le tribunal a violé l’art. 6 CEDH.

Note

La Suisse a déjà été condamnée à onze reprises entre 1997 et 2014 pour violation du droit à la réplique (GRODECKI , Le droit à la réplique : un formalisme sans limites ? in : Ordre des avocats de Genève (édit.), Regards de marathoniens sur le droit suisse, Genève 2015, p. 345).

Cet arrêt de la CourEDH repose toutefois sur un état de fait qui date de 2008. Il semble que la pratique judiciaire a depuis changé afin de respecter le droit absolu à la réplique. Après une analyse de la jurisprudence fédérale et celle de la CourEDH, GRODECKI en conclut d’ailleurs que “le droit à la réplique semble ainsi être un droit envisagé sans aucune limite” (GRODECKI , op. cit., p. 348).

Proposition de citation : Célian Hirsch, La violation du droit à la réplique (CourEDH), in : www.lawinside.ch/383/