La compétence d’un canton d’adopter les tarifs de l’entreprise de transports publics dans la loi cantonale (art. 15 LTV)

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ATF 143 I 109 – TF, 02.09.2016, 2C_62/2015*

Faits

A la suite de l’initiative populaire « Stop aux hausses des tarifs des Transports publics genevois [ci-après : les TPG] ! » (IN 146) acceptée le 18 mai 2014, le Conseil d’État genevois promulgue la loi cantonale modifiant la LTPG/GE prévoyant notamment la modification suivante : « (art. 36 al. 3) Le Grand Conseil fixe les tarifs des transports applicables aux [TPG], à l’exclusion des tarifs 1re classe, pour l’ensemble de son réseau, sur proposition de leur conseil d’administration. Les propositions de tarifs sont transmises au Conseil d’État pour qu’il se détermine et soumette les tarifs proposés au Grand Conseil sous forme d’un projet de loi, à l’exclusion des tarifs 1re classe. Ces tarifs sont les suivants  : […] (art. 36 al. 4) Toute modification des tarifs de transports ou tout nouveau type de tarifs des Transports publics genevois doivent être adoptés par le Grand Conseil et fixés à l’alinéa 3 ». Deux utilisateurs des TPG recourent à la Cour de Justice genevoise contre cette modification et concluent à la constatation de la nullité de ces dispositions, subsidiairement à leur annulation. A la suite du rejet de ce recours, les utilisateurs forment un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer si le droit fédéral, en particulier l’art. 15 LTV, admet la compétence du canton d’attribuer à ses organes politiques, en l’occurrence au Grand Conseil, la compétence d’établir dans la loi cantonale la tarification applicable aux transports publics.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que les TPG sont un établissement de droit public genevois destiné à mettre à la disposition de la population du canton, dans le cadre d’un contrat de prestations conclu avec l’État, un réseau de communications pour le transport des voyageurs (art. 191 al. 4 Cst./GE, art. 1 al. 1 LTPG/GE). L’établissement dispose de la personnalité juridique et est autonome dans les limites fixées par la loi (art. 2 al. 1 LTPG/GE). Il est placé sous la surveillance du Conseil d’État et de l’autorité fédérale compétente (art. 2 al. 3 LTPG/GE). Vu les concessions octroyées par les autorités fédérales, il constitue une entreprise de transport concessionnaire, au sens de la LTV.

Pour le Tribunal fédéral, la question de savoir si la compétence de la Confédération est exclusive ou concurrente n’est pas décisive, puisqu’il est établi que les TPG constituent un établissement de droit public cantonal que le constituant et le législateur genevois ont doté d’une certaine autonomie organisationnelle et auquel la Confédération a octroyé une concession (cf. art. 87 Cst., art. 4 LTV) et a conféré, par le biais de l’art. 15 LTV, des compétences tarifaires. La question de savoir si le législateur cantonal a outrepassé ses compétences en fixant les tarifs dans la loi cantonale doit donc être recherchée dans les limites particulières que la LTV statue à propos du rôle des cantons. Il faut en conséquence interpréter la loi pour déterminer qui du canton ou, cas échéant, de l’entité distincte à laquelle la gestion des transports publics a été confiée, bénéficie du droit de fixer les tarifs.

Le Tribunal fédéral procède en conséquence à l’interprétation de l’art. 15 LTV, dont l’al. 1 dispose que « [l]es entreprises établissent les tarifs de leurs prestations. Le tarif énumère les conditions auxquelles est applicable le prix défini pour le transport et les autres prestations y afférentes ».

Il relève premièrement que, si le législateur a certes confié l’établissement des tarifs aux entreprises, cela ne signifie pas encore que toute possibilité pour une autorité cantonale de déterminer les tarifs en matière de transports publics ou de participer à leur fixation est exclue. Le terme « entreprise » définit en effet une activité économique indépendante exercée en vue d’un revenu régulier, sans renseigner sur la forme juridique, le degré d’autonomie ou le mode de gestion et de prise de décisions. Il peut ainsi englober tant les entreprises publiques que privées.

Deuxièmement, le Tribunal fédéral confirme que, d’un point de vue historique, la législation fédérale n’a jamais entendu confier une compétence tarifaire exclusive aux entreprises de transports, à l’exclusion d’un droit de participation ou de contrôle des autorités fédérales ou cantonales. Celles-ci se sont au contraire toujours vu reconnaître un droit de participation et de contrôle en matière de tarification des prestations de transports publics. Si les compétences d’intervention étatiques sur les tarifs se sont amenuisées au profit d’une autonomie accrue des entreprises de transports, rien ne permet en revanche de retenir que le législateur ait entendu dissocier strictement les entreprises de leurs éventuels propriétaires de droit public ou qu’il ait interdit aux autorités des collectivités territoriales d’imposer une politique tarifaire aux entreprises de droit public se trouvant sous leur contrôle.

Troisièmement, le Tribunal fédéral estime qu’il ne contrevient pas à la ratio legis de la LTV de conférer aux autorités fédérales ou cantonales le droit d’intervenir en matière de tarification en fixant elles-mêmes les tarifs applicables aux entreprises de droit public se trouvant sous leur contrôle.

Quatrièmement et finalement, l’interprétation systématique de la LTV tend à confirmer le droit des autorités politiques cantonales d’intervenir dans la détermination des tarifs des entreprises de transports publics dont le canton est le propriétaire et qui ne seraient pas soumises à un régime légal fédéral particulier.

Il découle de ce qui précède que les autorités cantonales ont en principe et dans certaines limites le droit d’intervenir dans la fixation des tarifs des transports publics par leurs entreprises de droit public. Ce droit se détermine en premier lieu à la lumière du droit cantonal qui régit le statut juridique et l’autonomie de l’entreprise de transports, ainsi que la couverture de son déficit d’exploitation. Contrairement à ce qu’avait retenu la Cour de justice, ce n’est donc pas l’art. 28 LTV, qui concerne la réduction des tarifs commandée par la Confédération, les cantons ou les communes, qui fonde la compétence des autorités cantonales en la matière.

En conséquence, un canton ne contrevient pas à la législation fédérale en matière de transports publics lorsqu’il introduit des normes permettant à ses autorités non pas uniquement de soumettre la tarification à un contrôle postérieur, voire à une approbation préalable, mais de fixer, comme en l’espèce au moyen d’une loi formelle, les tarifs des TPG, en limitant le rôle de cet établissement de droit public en mains de l’Etat à celui de simple proposant. Partant, le recours doit être rejeté.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La compétence d’un canton d’adopter les tarifs de l’entreprise de transports publics dans la loi cantonale (art. 15 LTV), in : www.lawinside.ch/402/

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