La qualification d’une indemnité versée en cas de résiliation des rapports de travail selon la CDI CH-F et le MC OCDE

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ATF 143 II 257TF, 10.02.2017, 2C_628/2016* et 2C_629/2016*

Faits

Une convention conclue entre un contribuable domicilié à Genève et son employeur domicilié en France prévoit que les rapports de travail prennent fin d’un commun accord le 30 septembre 2012. Le travailleur a droit au paiement de sa rémunération mensuelle jusqu’au 31 mai 2012. Dès le 1er juin 2012, il est libéré de l’obligation de travailler. En outre, il est prévu qu’il reçoive un paiement extraordinaire « dans le cadre des dépenses occasionnées par la cessation de son contrat d’engagement ». En outre, l’intéressé s’engage à ne pas débaucher, sous quelque forme que ce soit, des employés ou des indépendants qui travaillaient pour la société ou des sociétés affiliées jusqu’à 12 mois suivant la date de résiliation du contrat.

Le contribuable reçoit ce paiement extraordinaire, lequel est taxé par l’Administration fiscale genevoise (ci-après : l’Administration). Celle-ci confirme sa décision de taxation sur réclamation. Sur recours, le Tribunal administratif de 1ère instance constate que l’Administration devait exonérer le paiement extraordinaire de toute imposition en Suisse. Saisie par l’Administration, la Cour de justice annule ce jugement.

Le contribuable recourt au Tribunal fédéral, qui est appelé à déterminer quelle qualification retenir pour le paiement extraordinaire perçu par le recourant à la suite de la fin des rapports de travail en 2012 et, en particulier, s’il s’agit d’un revenu imposable en Suisse en vertu de la Convention entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-F).

Droit

Le Tribunal fédéral doit établir si la convention de double imposition entre la Suisse et la France (cf. art. 1 CDI CH-F) limite le droit de la Suisse d’imposer le contribuable tel que cela découle du droit interne (cf. art. 16 ss LIFD). Pour ce faire, il faut déterminer si l’indemnité perçue par le recourant constitue un « salaire, traitement et autre rémunération similaire » au sens de l’art. 17 par. 1 CDI CH-F (cf. ég. art. 15 par. 1 Modèle de Convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune [MC OCDE]), une « pension ou autre rémunération similaire » au sens de l’art. 20 par. 1 CDI CH-F (cf. ég. art. 18 MC OCDE) ou enfin un « autre revenu » tombant dans le champ d’application de l’art. 23 CDI CH-FR (cf. ég. art. 21 par. 1 MC OCDE). Dans le premier cas, le revenu est imposable dans l’Etat où le contribuable exerce son emploi, dans les deux autres dans l’Etat de résidence du contribuable.

Par le passé, la jurisprudence a interprété la notion de « salaires, traitements et autres rémunérations similaires » de l’art. 15 par. 1 du MC OCDE en ce sens que la rémunération, unique ou périodique, qui constitue une contrepartie à une activité salariée, quel que soit le moment de son versement, entre dans le champ d’application respectivement de l’art. 15 par. 1 du MC OCDE, et de l’art. 17 par. 1 CDI CH-F. Une indemnité compensant une clause de non-concurrence stipulée à la fin des rapports de travail ou celle versée en cas de résiliation anticipée de ceux-ci, constitue en revanche un « autre revenu » au sens de l’art. 21 par. 1 MC OCDE. Bien que liée aux rapports de travail, une telle indemnité n’est en effet pas versée en premier lieu comme contre-prestation pour le travail fourni, mais a sa cause dans l’engagement de la personne à ne pas exercer d’activité concurrente ou dans la volonté de faciliter la transition professionnelle. En pratique, il peut toutefois exister des problèmes de délimitation entre l’art. 15 par. 1 du MC OCDE et les art. 18 et 21 MC OCDE, lorsque le travailleur perçoit une rémunération sans avoir exercé d’activité, notamment en raison de la résiliation anticipée des rapports de travail. Or, tel est le cas en l’espèce puisque le recourant a perçu une indemnité, alors qu’il avait été définitivement libéré de son obligation de travailler. Le Tribunal fédéral n’a jamais eu à se prononcer sur la qualification d’une telle indemnité jusqu’à présent.

Il commence par exclure d’emblée l’application de l’art. 20 par. 1 CDI CH-F. Le recourant est loin d’avoir atteint l’âge de la retraite et rien ne laisse penser que le montant ait été reçu dans une optique de transition jusqu’à celui-ci.

Il constate ensuite que le versement constitue une indemnité versée en cas de résiliation des rapports de travail. Pour qualifier l’indemnité selon l’art. 17 par. 1 ou 23 CDI CH-F, il faut considérer le versement le plus objectivement possible, sans prendre en compte les éventuels accords intervenus entre l’employeur et l’employé qui pourraient tendre à choisir le lieu d’une éventuelle imposition. L’indemnité a certes sa cause dans l’activité déployée précédemment en faveur de l’employeur français, mais ne constitue pas une contre-prestation pour un travail effectué, le recourant ayant définitivement arrêté de travailler le 31 mai 2012. Elle constitue dès lors un « autre revenu » au sens de l’art. 23 CDI CH-F (art. 21 MC OCDE) dont l’imposition doit se faire au lieu de résidence. Cette solution a notamment l’avantage d’éviter de devoir examiner si l’indemnité a (aussi) été versée pour compenser la clause de non-concurrence, une telle indemnité devant également être qualifiée d’« autre revenu ».

Dès lors, le paiement extraordinaire devrait être entièrement imposé en Suisse comme « autre revenu » au sens de l’art. 23 par. 1 CDI CH-F. Au vu de ce qui précède, l’arrêt attaqué doit être confirmé et le présent recours rejeté.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La qualification d’une indemnité versée en cas de résiliation des rapports de travail selon la CDI CH-F et le MC OCDE, in : www.lawinside.ch/417/