La résiliation du bail durant une procédure de conciliation (CO 271a I/d)

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ATF 141 III 101 | TF, 20.01.2015, 4A_482/2014*

Faits

En date du 25 mars 2012, un locataire dépose une requête de conciliation contre son bailleur et réclame la diminution du loyer pour cause de défauts de l’immeuble ainsi que la suppression de ces défauts.

Le même jour, le bailleur résilie le contrat du locataire en faisant usage de la formule officielle. Il s’avère par la suite que le bailleur n’était pas au courant du dépôt de la requête de conciliation lors de la résiliation.

Le locataire ouvre une procédure en annulation du congé pour cause de résiliation abusive en s’appuyant sur l’art. 271a al. 1 let. d CO. Selon cette disposition, le congé est annulable lorsqu’il est donné par le bailleur pendant une procédure de conciliation ou une procédure judiciaire en rapport avec le bail, à moins que le locataire ne procède au mépris des règles de la bonne foi.

Le Tribunal des baux et loyer rejette l’action. Sur appel, le Tribunal cantonal zurichois confirme la décision de première instance. En substance, les instances cantonales considèrent que l’art. 271a al. 1 let. d CO ne s’applique pas lorsque le bailleur n’était pas au courant de l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Le locataire dépose un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit trancher la question de savoir si l’annulation du congé pour cause de résiliation pendant une procédure de conciliation ou une procédure judiciaire est conditionnée au fait que le bailleur est– ou aurait dû être – au courant de l’existence de cette procédure.

Droit

Le Tribunal fédéral doit interpréter l’art. 271a al. 1 let. d CO pour déterminer si cette disposition est conditionnée au fait que le bailleur ait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de l’ouverture d’une procédure à son encontre en rapport avec le bail.

L’interprétation littérale de l’art. 271a al. 1 let. d CO ne permet pas de retenir l’existence d’une telle condition. Le texte de cette disposition précise simplement que le congé est nul lorsqu’il est donné pendant une procédure de conciliation, sans préciser si le bailleur doit être au courant ou non de celle-ci.

L’interprétation téléologique de l’art. 271a al. 1 let. d CO permet au Tribunal fédéral d’en dégager le but, qui est celui d’éviter que le bailleur mette un terme à une procédure hostile ouverte à son encontre en résiliant le contrat de bail. Elle vise ainsi notamment à empêcher le bailleur de se venger de son locataire en résiliant le bail. Cette disposition permet donc au locataire de s’assurer qu’il ne risque pas la résiliation de son bail s’il ouvre action contre son bailleur. Pour autant, le Tribunal fédéral précise qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que le bailleur a effectivement commis un abus de droit. Le législateur a voulu poser une fiction selon laquelle une résiliation durant une procédure de conciliation était contraire à la bonne foi (art. 2 CC), sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve effective d’un abus de droit.

L’interprétation systématique de l’art. 271a al. 1 let. d CO en lien avec l’art. 271a al. 3 CO permet au Tribunal fédéral de retenir que le législateur a expressément prévu des exceptions au principe selon lequel le bailleur ne peut résilier le contrat durant une procédure de conciliation. L’art. 271a al. 3 CO prévoit en effet une liste exhaustive de situations qui excluent l’application de l’art. 271a al. 1 let. d CO. Partant, il n’y a pas de place pour retenir une nouvelle situation non prévue par l’art. 271a al. 3 CO permettant au bailleur de résilier le contrat durant la procédure de conciliation.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Tribunal fédéral conclut que la résiliation du contrat de bail par le bailleur alors qu’une procédure de conciliation portant sur ce même contrat a été ouverte est annulable indépendamment de la question de savoir s’il était au courant de l’existence de cette procédure.

En l’espèce, la requête de conciliation a été déposée en date du 25 mars 2012. En vertu de l’art. 62 al. 1 CPC, la litispendance débute dès le dépôt de la requête de conciliation. Partant, la litispendance a commencé dès le 25 mars 2012.

Le bailleur a résilié le contrat à l’aide de la formule officielle en date du 25 mars 2012. En vertu du principe de la réception, cette résiliation n’a d’effets que lorsqu’elle entre dans la sphère d’influence du destinataire. Dans le cas particulier, le locataire a reçu le congé en date du 26 mars 2012. Partant, la résiliation a déployé ses effets dès le 26 mars 2012.

Ainsi, lorsque la résiliation a produit ses effets le 26 mars 2012, la procédure de conciliation avait déjà été introduite. Partant, la résiliation du bail est annulée car contraire à l’art. 271a al. 1 let. d CO.

Le Tribunal fédéral réforme l’arrêt cantonal et annule la résiliation du contrat de bail.

Note

La décision du Tribunal fédéral est intéressante, en ce qu’elle précise que l’art. 271a al. 1 let. d CO n’exige pas la démonstration de l’existence d’un abus de droit effectif de la part du bailleur. En cela, la loi fixe une fiction selon laquelle la résiliation est contraire à la bonne foi dès lors qu’elle a lieu durant la période de conciliation. En l’espèce, on ne peut retenir d’abus de droit concret de la part du bailleur, puisqu’il n’était même pas au courant de l’existence de la procédure. Partant, il n’a pu agir dans un but de vengeance ou pour mettre à mal la procédure ouverte par son locataire à son encontre. Sur ce point, il semble que la décision du Tribunal fédéral vient remettre en doute le fondement de l’art. 271a al. 1 let. d CO. On rappelle que l’art. 271 al. 1 CO fonde l’annulation du congé sur le principe de la bonne foi. Il est difficile d’admettre qu’une résiliation durant une procédure de conciliation est (même abstraitement) contraire à la bonne foi alors même que le bailleur n’était pas au courant de l’existence d’une telle procédure. Pour autant, la décision du Tribunal fédéral se justifie pour des raisons pratiques. Conditionner l’annulation du congé au fait que le bailleur est ou aurait dû être au courant de l’existence d’une procédure est difficilement praticable et va à l’encontre de la sécurité juridique. Sur ce point, la décision du Tribunal fédéral est convaincante.

Proposition de citation : Alborz Tolou, La résiliation du bail durant une procédure de conciliation (CO 271a I/d), in : www.lawinside.ch/42/