Le droit pour un couple de prévenus de se rendre visite

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ATF 143 I 241 | TF, 18.04.2017, 1B_34/2017*

Faits

Deux prévenus se trouvent en détention provisoire respectivement sous le régime de l’exécution anticipée de la peine pour plusieurs cambriolages qu’ils auraient commis ensemble. Ayant été concubins pendant plus de 15 ans, ils font chacun valoir le droit de se rendre visite au moins une fois par mois, étant précisé qu’ils se trouvent dans deux établissements pénitentiaires différents. Ces demandes sont rejetées par les deux instances cantonales.

Sur recours des deux prévenus, le Tribunal fédéral doit déterminer si ces derniers sont en droit de se rendre visite régulièrement malgré leur détention à deux endroits différents.

Droit

Les recourants se prévalent d’une violation de leur droit à la liberté personnelle (art. 10 Cst.) et à leur vie privée et familiale (art. 13 Cst.), ainsi que d’une violation de l’art. 235 al. 1 CPP.

Une restriction des droits fondamentaux des prévenus étant en jeu, l’art. 36 Cst. constitue le point de départ de l’analyse du Tribunal fédéral. L’art. 235 al. 1 CPP concrétise la portée de cette disposition et prévoit que la liberté des prévenus en détention ne peut être restreinte que dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement. L’alinéa 2 dispose que tout contact entre le prévenu en détention et des tiers est soumis à l’autorisation de la direction de la procédure, et que les visites sont surveillées si nécessaire.

En ce qui concerne les conditions de la détention, le Tribunal fédéral distingue la détention provisoire de l’exécution anticipée de la peine.

S’agissant de la première, en présence d’un risque particulièrement important de fuite, collusion ou réitération, ou lorsque l’ordre et la sécurité (en particulier à l’intérieur de la prison) sont mis en danger, les conditions de détention peuvent être plus restrictives. La durée de la détention doit néanmoins être prise en compte en faveur du détenu, tout comme la présomption d’innocence.

En ce qui concerne la deuxième, elle se trouve à mi-chemin entre la phase d’enquête et celle d’exécution de la peine. Bien qu’elle soit soumise aux conditions de la détention provisoire, ce régime doit être le plus proche possible de l’exécution de peine ordinaire.

De jurisprudence constante, les prévenus en détention provisoire jouissent– dans les limites de l’art. 235 CPP – d’un droit de recevoir des visites et d’effectuer des appels. Ce droit concerne en particulier la famille du prévenu et son partenaire, et ne peut être restreint lorsque la période de détention est longue et qu’il n’existe plus de risque de collusion.

Le Tribunal fédéral se réfère au texte légal clair et constate que la loi mentionne tant les « contacts » avec des tiers que les « visites ». Contrairement à ce qu’avait retenu la Cour cantonale, la loi n’admet donc pas uniquement le réception (passive) de visites, mais de manière plus générale les contacts avec des tiers.

Le régime d’exécution des peines auquel est soumis l’un des prévenus reconnaît par ailleurs au détenu le droit de recevoir des visites et d’entretenir des relations avec le monde extérieur (art. 84 al. 1 CP), ainsi que, dans le même but, de se voir accorder des congés d’une durée appropriée.

En l’espèce, les prévenus se trouvent en détention depuis un an et 8 mois, et des peines de 15 respectivement 18 ans ont été requises par le ministère public à leur encontre. De plus, ils n’ont pas d’autres contacts avec des tiers en Suisse. Dans ces circonstances, et compte tenu de l’absence de risque de collusion, un refus total de tout contact entre les deux prévenus constituerait une restriction grave de leur droit à la vie privée et familiale (art. 13 cum art. 36 al. 4 Cst.), nécessitant une base légale expresse. Or, non seulement une telle restriction n’est pas prévue par le Code de procédure pénale, mais elle contredirait en plus l’art. 235 al. 1 CPP.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours en reconnaissant aux deux prévenus un droit de visite mensuel, par le transport d’un d’entre eux dans l’établissement pénitentiaire de l’autre.

Proposition de citation : Simone Schürch, Le droit pour un couple de prévenus de se rendre visite, in : www.lawinside.ch/430/