L’investigation secrète et le droit de se taire

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ATF 143 I 104 | TF, 21.03.2017, 1B_117/2016*

Faits

Un couple est suspecté d’avoir tué son premier bébé et fait subir de graves lésions corporelles au second. Les suspects se refusent toutefois à toute déclaration. En cours d’instruction, le Ministère public ordonne une investigation secrète impliquant plusieurs agents infiltrés. Cette mesure est validée par le Tribunal des mesures de contrainte. Une fois informé de l’investigation secrète, l’un des prévenus en conteste la licéité. Le Tribunal cantonal compétent lui donne raison et ordonne la destruction immédiate des preuves résultant de l’investigation secrète.

Sur recours du Ministère public, le Tribunal fédéral doit déterminer si l’investigation secrète viole le droit de se taire des prévenus.

Droit

A teneur de l’art. 285a CPP, il y a notamment investigation secrète lorsque des membres d’un corps de police nouent de manière trompeuse, sous le couvert d’une identité d’emprunt, des contacts avec des individus dans l’intention d’instaurer avec eux une relation de confiance afin d’élucider des infractions particulièrement graves. L’instance précédente a considéré que les conditions légales de l’investigation secrète (art. 286 CPP) étaient remplies. Selon l’arrêt contesté, l’investigation secrète était néanmoins illicite car elle violait le droit de se taire (art. 113 CPP) des prévenus.

Le prévenu a le droit de refuser de collaborer. Il est toutefois tenu de se soumettre aux mesures de contrainte prévues par la loi (art. 113 al. 1 CPP), parmi lesquels compte l’investigation secrète. L’exercice du droit de se taire ne fait ainsi pas obstacle à la mise en œuvre d’une investigation secrète en tant que telle. Cette dernière ne doit toutefois pas conduire à contourner le droit de se taire. Partant, les agents infiltrés ne doivent pas user du rapport de confiance établi avec le prévenu pour lui poser des questions qui ont été ou auraient pu être posées au cours de la procédure pénale. Par opposition, le droit de se taire n’est pas violé lorsque les agents infiltrés se contentent d’écouter des déclarations faites par le prévenu de son propre chef. Ceci correspond  à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Allan c. Royaume-Uni du 05.11.2002), ainsi qu’à la pratique du Bundesgerichtshof allemand (BGHSt, 26.07.2007, 3 StR 104/107).

Le présent recours est dirigé contre la décision de mettre en œuvre une investigation secrète. Au regard de ce qui précède, celle-ci ne viole pas en tant que telle le droit de se taire des prévenus. Au demeurant, rien d’indique que le Ministère public aurait d’avance ordonné aux agents infiltrés de poser aux prévenus des questions inadmissibles. Dans ces circonstances, il pouvait ordonner l’investigation secrète. C’est à tort que l’instance précédente a ordonné la destruction immédiate des preuves en résultant. Il appartiendra au tribunal du fond de déterminer si dans les faits les agents infiltrés ont influencé les prévenus de manière inadmissible et, le cas échéant, d’en tenir compte lors de la fixation de la peine (art. 293 al. 4 CPP). La question de savoir si l’art. 293 al. 4 CPP constitue une lex specialis primant l’interdiction d’exploiter des preuves obtenues illégalement (art. 141 al. 1 CPP) peut être laissée ouverte à ce stade.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours.

Note

Dans un autre arrêt rendu le même jour dans la même procédure pénale (TF, 21.03.2017, 1B_115/2016* ; http://www.lawinside.ch/427), le Tribunal fédéral a considéré que la mise sous écoute (art. 280 ss CPP) du logement des prévenus ne violait pas non plus leur droit de se taire (art. 113 CPP), ni leur droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. féd.) et à la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et art. 13 al. 1 Cst. féd.).

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’investigation secrète et le droit de se taire, in : www.lawinside.ch/434/