Le contrôle de validité de l’initiative populaire grisonne “Une seule langue étrangère à l’école primaire”

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ATF 143 I 361 – TF, 03.05.2017, 1C_267/2016*

Faits

Le Conseil d’Etat grison constate l’aboutissement de l’initiative cantonale en termes généraux « Une seule langue étrangère à l’école primaire ». L’initiative est formulée dans les termes suivants (en traduction libre) : « La loi sur les écoles du canton des Grisons doit être modifiée de sorte que la règle suivante s’applique à l’enseignement de langues étrangères à l’école primaire dans l’ensemble du canton : à l’école primaire, une seule langue étrangère est obligatoire ; suivant la région linguistique, il s’agit de l’allemand ou de l’anglais ».

Le Grand Conseil grison déclare l’initiative invalide. Sur recours, le Tribunal administratif annule cette décision et constate la validité de l’initiative. Des citoyens saisissent alors le Tribunal fédéral d’un recours en matière de droit public. Celui-ci doit déterminer si l’initiative doit être déclarée invalide pour violation manifeste du droit supérieur, en particulier de l’égalité de traitement et de l’interdiction de discrimination (art. 8 al. 1 et 2 Cst.), du droit à un enseignement de base suffisant (art. 19 cum 62 al. 2 Cst.), des dispositions sur l’harmonisation de l’enseignement (art. 61a al. 1 et 62 al. 4 Cst.), des objectifs fédéraux sur l’enseignement fixés à l’art. 15 al. 3, 21 LLC et 70 al. 4 et 5 Cst., du principe d’équivalence des langues nationales et officielles grisonnes (art. 3 al. 1 Cst.-GR), ainsi que du principe de la territorialité des langues (art. 70 al. 2 Cst., art. 3 al. 2 Cst.-GR).

Droit

Le Tribunal fédéral constate à titre préalable que le droit grison prévoit qu’une initiative populaire est déclarée invalide uniquement si la violation du droit supérieur est manifeste (art. 14 al. 1 ch. 2 Cst.-GR). Cela signifie qu’il ne doit subsister aucun doute (motivé) quant à la contrariété au droit, la violation doit sauter aux yeux et ne peut pas être raisonnablement niée. Un simple doute sur la compatibilité au droit supérieur n’est dès lors pas suffisant. De surcroît, lorsqu’une initiative est formulée en termes généraux, il faut tenir compte du fait que, en cas d’acceptation, le législateur doit préparer une réglementation de mise en œuvre qui correspond aux conceptions exprimées dans l’initiative. Lors de la mise en œuvre, il doit viser la plus grande compatibilité possible avec le droit supérieur sans toutefois devoir contrôler le respect de celui-ci dans tous les cas. Déclarer une initiative en termes généraux invalide suppose donc qu’une mise en œuvre sans contradiction manifeste au droit supérieur apparaisse d’avance exclue. Si l’initiative se laisse au contraire exécuter de sorte qu’aucune contradiction manifeste n’en résulte, alors elle ne peut pas être déclarée irrecevable.

Le Tribunal fédéral relève tout d’abord que les parties s’accordent à comprendre l’initiative de la manière suivante : les écoles primaires des régions italophones et rhéto-romanchophones reçoivent un enseignement obligatoire de langue étrangère seulement en allemand et les écoles primaires des régions germanophones reçoivent un enseignement obligatoire de langue étrangère seulement en anglais. L’initiative n’exclut en revanche ni l’enseignement facultatif d’une deuxième langue étrangère, ni les écoles bilingues. Enfin, elle ne concerne que les six années d’école primaire et non les trois années d’école secondaire également comprises dans l’école obligatoire dans le canton des Grisons.

Le Tribunal fédéral traite ensuite successivement différents griefs des recourants. Il rappelle premièrement que l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination de communautés linguistiques (art. 8 al. 1 et 2 Cst.) imposent que les élèves de différentes régions linguistiques reçoivent une formation équivalente pour les langues étrangères. Savoir si une formation équivalente est dispensée est une question d’appréciation, pour laquelle il convient de reconnaître au législateur cantonal une importante marge de manœuvre. Il est vrai que la solution de l’initiative ne garantit pas que les élèves de régions linguistiques différentes bénéficient de compétences comparables dans une deuxième langue nationale et en l’anglais à tout moment de leur formation, respectivement à la fin de l’école primaire. L’initiative peut toutefois être mise en œuvre de sorte que tous les élèves disposent d’une formation linguistique équivalente et de connaissances comparables des langues étrangères à la fin de l’école obligatoire. La deuxième langue étrangère peut par exemple être enseignée de manière plus intense lors du cycle secondaire. Les besoins particuliers des élèves de régions périphériques ou de minorités linguistiques au sein d’une région peuvent en outre être comblés par des réglementations spéciales ou une offre de cours facultatif supplémentaire. Le législateur cantonal dispose dès lors de possibilités concrètes pour mettre en œuvre l’initiative dans le respect de l’égalité. Il en résulte que l’initiative ne souffre pas d’une incompatibilité manifeste avec ce principe.

Le Tribunal fédéral réserve le même traitement aux griefs concernant la violation du droit à un enseignement de base suffisant au sens de l’art. 19 avec 62 al. 2 Cst. et la violation de l’art. 15 al. 3 LLC, qui fixe comme objectif « un enseignement des langues étrangères qui, au terme de la scolarité obligatoire, assure des compétences dans une deuxième langue nationale au moins, ainsi que dans une autre langue étrangère » Si, comme le soutiennent les recourants, la possibilité de pouvoir apprendre tant l’anglais qu’une deuxième langue nationale appartient aux conditions d’un enseignement de base suffisant dans le canton des Grisons, elle n’est de toute façon pas entravée par l’initiative puisque la possibilité de compenser les lacunes éventuelles du niveau primaire peut être assurée au niveau secondaire.

Le deuxième grief des recourants concerne la compatibilité de l’initiative avec les art. 61a et 62 al. 4 Cst. et l’harmonisation de l’instruction publique. Le Tribunal fédéral relève à cet égard que le canton des Grisons n’a pas adhéré au concordat HarmoS. La stratégie linguistique du concordat n’est en conséquence pas contraignante pour les autorités cantonales, même si d’autres cantons non adhérents s’y orientent. L’art. 62 al. 4 Cst. et l’art. 48a al. 1 let. b Cst. prévoient d’ailleurs une compétence subsidiaire de la Confédération ainsi qu’une possibilité de rendre le concordat obligatoire ou d’obliger certains cantons à y adhérer si aucune harmonisation suffisante n’a lieu. Dans la mesure où la Confédération n’a pas fait usage de cette compétence, il n’y a aucune raison que le canton soit tenu de respecter le concordat HarmoS.

En troisième et dernier lieu, le Tribunal fédéral retient que le principe de l’équivalence des langues nationales et officielles du canton (art. 3 al. 1 Cst.-GR) ainsi que le principe de la territorialité des langues (art. 70 al. 2 Cst., art. 3 al. 2 Cst.-GR) ne donnent aucune instruction contraignante concernant l’enseignement des langues étrangères.

En conséquence, l’initiative « Une seule langue étrangère à l’école primaire » peut être mise en œuvre de sorte à éviter une contradiction manifeste avec le droit supérieur et est dès lors valide.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours et confirme la décision de l’instance précédente.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Le contrôle de validité de l’initiative populaire grisonne “Une seule langue étrangère à l’école primaire”, in : www.lawinside.ch/461/