Les devoirs de vérification de la banque face à un document falsifié

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TF, 15.06.2017, 4A_379/2016

Faits

Une cliente dépose environ 1,8 millions d’avoirs auprès d’une banque (execution only) et les fait gérer par un gestionnaire externe. Durant plusieurs années, la cliente procède de manière générale à des retraits allant de CHF 1’000 à CHF 15’000.

L’art. 2 des conditions générales qui lient la cliente à la banque prévoit que « le dommage résultant de défauts de légitimation ou de faux non décelés est à la charge du Client, sauf en cas de faute grave de la Banque ».

Entre 2006 et 2010, le gestionnaire externe a détourné à l’insu de la cliente environ 1,3 millions de francs. Il a notamment adressé à la banque deux ordres de transferts de respectivement CHF 500’000 et CHF 550’000 pour l’acquisition de métaux précieux. Ces deux ordres comportaient une signature falsifiée de la cliente. L’employé de la banque qui a reçu ces deux ordres a considéré qu’ils sortaient de l’ordinaire si bien qu’il a procédé à des contrôles. À cet effet, il a téléphoné au gérant externe pour lui demander si l’opération portait bien sur l’acquisition de métaux précieux ce que le gérant externe a évidemment immédiatement confirmé. Sur la base des dires du gérant, l’employé a procédé au transfert.

Lorsque la cliente se rend compte du fait que son compte a été vidé à son insu, elle ouvre une action en paiement contre la banque et réclame CHF 1,3 millions. Sans mettre l’accent sur la portée de l’art. 2 des conditions générales précitées, et en se fondant sur les principes issus de la responsabilité contractuelle (art. 398 CO), la Chambre patrimoniale cantonale vaudoise a en substance rejeté l’action de la cliente considérant que les vérifications téléphoniques de l’employé étaient suffisantes sous l’angle de la diligence requise et que partant on ne pouvait reprocher de manquement à la banque. La cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur recours de la cliente, le Tribunal fédéral est amené à déterminer si la banque a commis une faute grave en se contentant de vérifier l’ordre prétendument de la cliente auprès du gestionnaire externe.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par expliquer que lorsqu’un transfert de fonds est imputable à un tiers non autorisé ou qu’il est exécuté sur les instructions d’un représentant en dehors du cadre de sa procuration, il est exécuté sans mandat du client et la banque ne peut pas se faire rembourser par celui-ci, même si elle n’a pas commis de faute. Le dommage découlant du paiement indu est un dommage de la banque, non du client. Le client dispose d’une action en restitution de l’avoir en compte, qui est une action en exécution du contrat (Erfüllungsanspruch). En d’autres termes, lorsque la banque exécute un ordre sans avoir décelé la fausseté de la signature du client, c’est elle qui, de par la loi, subit un dommage. Ainsi, dans le système légal, où c’est la banque qui subit un dommage, celle-ci peut tout au plus demander des dommages-intérêts à son client si celui-ci a fautivement contribué à causer le dommage qu’elle a subi (art. 97 al. 1 ou 41 al. 1 CO).

Il relève ensuite que cette réglementation légale du risque du défaut de légitimation ou de faux non décelé peut être modifiée conventionnellement par le client et la banque et qu’il est habituel – comme en l’espèce – que les conditions générales de la banque auxquelles le client adhère comportent une clause dite de transfert de risque.

En l’occurrence, on se trouve en présence de faux non décelés par la banque et, partant, d’ordres de virement exécutés par elle sans mandat, circonstances qui permettent au client d’agir en exécution du contrat, et non en responsabilité pour inexécution de celui-ci. Partant, c’est à tort que les autorités vaudoises ont jugé cette affaire à la lumière de l’art. 398 CO.

La question posée par cet état de fait est plutôt de déterminer la validité de la clause de transfert de risque de l’art. 2 des conditions générales de la banque. Le Tribunal fédéral considère que la validité d’une telle clause doit être examinée par application analogique des art. 100 et 101 al. 3 CO, qui régissent les conventions d’exonération de la responsabilité pour inexécution ou exécution imparfaite du contrat, et ce bien que la clause de transfert de risque ne relève pas de l’inexécution contractuelle au sens des art. 97 ss CO.

Le Tribunal fédéral considère enfin que lorsqu’une banque reçoit un ordre qui est insolite ou qui n’est pas habituellement demandé, seules des mesures de vérification auprès du client lui-même (et non auprès de son mandataire) sont adaptées pour écarter tout doute de falsification. Dans un tel cas, l’employé de la banque ne peut donc pas se contenter de téléphoner au gérant externe et s’il ne peut pas prendre contact lui-même directement avec le client, il doit attendre que celui-ci se manifeste à lui en personne.

Partant, le Tribunal fédéral considère en l’espèce que bien que l’art. 2 des conditions générales soit opposable à la cliente, la banque a commis une faute grave en se contentant de vérifier un ordre auprès du gestionnaire externe. Ainsi, la clause de transfert de risques est inopérante en l’espèce et la cliente est légitimée à réclamer l’exécution du contrat et obtenir la restitution de CHF 1,3 millions. Le Tribunal fédéral réserve en l’espèce le droit de la banque d’ouvrir une action récursoire contre sa cliente sur la base de l’art. 97 CO.

Partant, le recours est admis et l’affaire est renvoyée aux autorités vaudoises.

Note

Bien qu’elle ait été rendue par 5 juges, cette décision n’est pas destinée à la publication.

Le Tribunal fédéral rappelle dans cet arrêt une distinction subtile entre l’action en responsabilité et l’action en exécution du contrat. La distinction devient d’autant plus subtile que le Tribunal fédéral considère à juste titre que l’on peut examiner la validité des clauses de transfert de risque (qui relèvent de l’exécution du contrat selon cet arrêt) à la lumière des art. 100 et 101 al. 3 CO, lesquels se rapportent à la responsabilité contractuelle.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral lève définitivement le caractère insolite des clauses de transfert de risque lorsqu’elles sont intégrées dans des conditions générales d’une banque. Partant, leur opposabilité ne devrait plus être soumise à la condition qu’elles soient rédigées en caractère gras.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Les devoirs de vérification de la banque face à un document falsifié, in : www.lawinside.ch/466/

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