L’interprétation du jugement cantonal confirmé par le Tribunal fédéral

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ATF 143 III 420 | TF, 21.06.2017, 4G_4/2016*

Faits

Un client agit en reddition de compte (art. 400 CO) contre sa banque. Son action est rejetée en première instance puis admise sur appel. Le dispositif du jugement de seconde instance impose notamment à la banque de fournir un décompte final complet ainsi que les chiffres et calculs à l’origine de divers appels de marge. Par arrêt TF 4A_13/2012 du 19 novembre 2012 (ATF 139 III 49), le Tribunal fédéral rejette le recours formé par la banque à l’encontre de ce jugement.

Par demande du 21 décembre 2016, le client demande au Tribunal fédéral d’interpréter son jugement de 2012 en ce sens que le décompte final complet de la banque comprend certains documents précis. Il sollicite également des précisions quant aux chiffres et calculs devant être fournis en lien avec les appels de marge.

Il s’agit de déterminer si l’interprétation d’un jugement cantonal confirmé par le Tribunal fédéral relève de la compétence des juges fédéraux.

Droit

A l’appui de sa demande, le client expose avoir agi en exécution du jugement de 2012. Dans ce contexte, il est apparu que le dispositif du jugement cantonal de deuxième instance, tel que confirmé par le Tribunal fédéral, était insuffisamment précis et devait être interprété.

A teneur de l’art. 129 LTF, si le dispositif d’un arrêt du Tribunal fédéral est peu clair, incomplet ou équivoque, ou si ses éléments sont contradictoires entre eux ou avec les motifs, ou s’il contient des erreurs de rédaction ou de calcul, le Tribunal fédéral, à la demande écrite d’une partie ou d’office, interprète ou rectifie l’arrêt.

Cette disposition se réfère expressément au dispositif d’un jugement du Tribunal fédéral. Par opposition, l’interprétation du dispositif d’un jugement cantonal relève du champ d’application du CPC (art. 334 CPC cum art. 1 CPC). En l’espèce, le dispositif du jugement topique du Tribunal fédéral (TF 4A_13/2012 du 19 novembre 2012) prévoit uniquement le rejet du recours. Le recourant fait valoir que les considérants du jugement fédéral de 2012 traitent en détail de l’obligation de reddition de compte. Le dispositif du jugement cantonal devrait dès lors être interprété au regard des considérants du jugement du Tribunal fédéral. L’interprétation incomberait donc au Tribunal fédéral. Ceci a au demeurant été admis dans l’arrêt du Tribunal fédéral TF 5C.122/2002 du 07.10.2002 rendu sous l’empire de l’ancienne OJ.

L’interprétation peut avoir pour but de clarifier des contradictions entre les considérants et le dispositif. Il doit cependant s’agir des considérants et du dispositif d’un même jugement. Ainsi, en cas de contradictions entre les considérants du jugement cantonal topique et le dispositif de ce même jugement, le recourant pourrait en demander l’interprétation. Celle-ci incomberait toutefois à l’instance cantonale et non au Tribunal fédéral (art. 334 CPC).

Par ailleurs, il peut arriver que le dispositif ne précise pas suffisamment clairement les obligations de la partie succombante et que la lecture des considérants soit nécessaire à l’exécution forcée. Dans ces circonstances, il appartient au tribunal de l’exécution de déterminer la portée du dispositif au regard des considérants. En l’espèce, si le dispositif du jugement cantonal n’est pas assez précis lorsqu’il condamne la banque à fournir un décompte final complet ainsi que les chiffres et calculs à l’origine des appels de marge, le juge de l’exécution doit se référer aux considérants des jugements cantonaux et fédéraux pour rendre sa décision. S’il s’y refuse, la décision d’exécution peut être contestée par les voies de recours y afférantes.

Au regard de ce qui précède, la jurisprudence fédérale TF 5C.122/2002 du 07.10.2002 selon laquelle le tribunal fédéral est compétent pour l’interprétation du jugement cantonal de dernière instance confirmé sur recours fédéral, rendue sous l’empire de l’ancienne OJ, ne peut être maintenue. Dans le système de la LTF et du CPC, l’interprétation d’un tel jugement incombe le cas échéant à l’instance cantonale. En tout état, l’interprétation ne sera fréquemment pas nécessaire, le tribunal de l’exécution étant compétent pour déterminer la portée du dispositif au regard des considérants aux fins de l’exécution forcée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’interprétation du jugement cantonal confirmé par le Tribunal fédéral, in : www.lawinside.ch/471/