La responsabilité de l’Etat en application de l’art. 679 CC

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ATF 143 III 242 | TF, 26.06.2017, 4A_60/2017*

Faits

Deux entreprises reçoivent du Conseil d’Etat valaisan une autorisation d’extraire du gravier du lit du Rhône. Quelques mois plus tard, suite à une augmentation de la nappe phréatique plusieurs caves d’immeubles sont inondées et les cultures fruitières d’un agriculteur endommagées. Le dommage subi par ce dernier est fixé à CHF 56’226.-.

Mandaté par l’Etat du Valais, un bureau de géologie parvient à la conclusion que l’augmentation de la nappe est essentiellement imputable aux travaux effectués par l’une des entreprises, laquelle n’avait en particulier pas respecté la profondeur maximale d’excavation prévue par l’autorisation.

L’agriculteur réclame à l’Etat du Valais le remboursement de son dommage. Débouté devant les instances cantonales, il agit devant le Tribunal fédéral qui doit déterminer si l’Etat engage sa responsabilité en vertu de l’art. 679 al. 1 CC, respectivement de l’art. 58 CO.

Droit

Les art. 679 et 684 ss CC instituent une responsabilité objective qui n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute et suppose la réalisation de trois conditions  : un excès du propriétaire dans l’utilisation du fonds, une atteinte aux droits du voisin et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’excès et l’atteinte.

En ce qui concerne l’excès du droit de propriété, il doit résider dans un comportement humain lié à l’exercice de la maîtrise effective sur le fonds, ce qui signifie que les immiscions causées exclusivement par des phénomènes naturels n’entrent pas dans cette catégorie.

Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur la légitimité passive de l’Etat dans le cas d’espèce.

La légitimité passive du propriétaire foncier est donnée non seulement lorsque celui-ci cause lui-même le dommage, mais également lorsqu’une tierce personne utilise l’immeuble en vertu du droit public ou privé (entrepreneur, locataire, fermier), et ce même lorsque celle-ci viole les règles de la relation le liant au propriétaire, ce dernier pouvant agir en justice pour faire cesser cette violation.

Cela étant, le Tribunal fédéral a reconnu la légitimité passive sous l’angle de l’art. 679 CC également au titulaire d’un droit réel limité ou d’un droit personnel ayant l’usage du fonds, étant précisé que ce dernier point est contesté en doctrine (cf. ATF 132 III 689 consid. 2.2.1). Dans le même arrêt, le Tribunal fédéral a en revanche laissée ouverte la question de savoir si la légitimité passive doit toujours être déniée au propriétaire du fonds lorsqu’il existe un droit réel limité assurant à son titulaire la maîtrise effective (et exclusive) sur celui-ci. Tel était le cas dans l’arrêt en question où le propriétaire du fonds avait perdu toute maîtrise sur la chose.

L’art. 679 CC peut s’appliquer à un fonds en propriété d’une collectivité publique pour autant qu’il soit soumis aux règles du droit civil, c’est-à-dire qu’il ressort du patrimoine financier ou du patrimoine administratif/destiné à l’usage commun, dans ce dernier cas l’affectation devant en outre être compatible avec l’application du droit privé.

La souveraineté que l’Etat exerce sur les biens du domaine public (art. 664 CC ; soit les biens d’usage commun) procure une maîtrise indépendante semblable au droit de propriété, ce qui justifie d’appliquer l’art. 679 CC. Par conséquent, la responsabilité de l’Etat peut être engagée à raison d’eaux publiques.

De plus, à l’instar du propriétaire d’un immeuble qui répond du fait de son fermier ou de son locataire, la collectivité publique doit répondre du fait d’un usager régulièrement autorisé.

En l’espèce, l’Etat du Valais exerce sa souveraineté sur le Rhône, lequel fait partie du domaine public du canton. Les entreprises qui bénéficiaient d’une autorisation sont des tiers « autorisés » auxquels la collectivité a cédé un attribut de son droit de propriété et dont elle doit répondre au vu des considérations qui précèdent. La légitimité passive de l’Etat du Valais en application de l’art. 679 CC est dès lors admise.

Le lien de causalité naturel et adéquat doit également être retenu sur la base de l’expertise géologique commissionnée par l’Etat du Valais, laquelle a constaté que les dommages subis par l’agriculteur étaient imputables en particulier au non-respect des charges prévues par l’autorisation dont disposait l’une des entreprises (profondeur maximale d’excavation notamment).

La responsabilité causale de l’état en application de l’art. 679 CC étant engagée, le Tribunal fédéral admet le recours de l’agriculteur.

Note

Le Tribunal fédéral précise que, dans le cas particulier, l’Etat n’avait pas abandonné toute maîtrise sur le cours d’eau public. Il s’agissait en effet de délivrer à titre ponctuel et sous diverses conditions une autorisation d’extraire du gravier. Cette situation n’est donc pas comparable à celle du propriétaire qui octroie par exemple un droit de superficie à autrui en vertu duquel il a la maîtrise exclusive (juridique et de fait) sur le bien-fonds. La légitimité passive de l’entreprise ayant causé le dommage ne pouvait donc pas être admise en l’espèce.

 

Proposition de citation : Simone Schürch, La responsabilité de l’Etat en application de l’art. 679 CC, in : www.lawinside.ch/472/