La notion d’authenticité du titre selon l’art. 178 CPC

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ATF 143 III 453 | TF, 03.07.2017, 5A_648/2016*

Faits

Suite à la faillite d’une raison individuelle, une société créancière se voit délivrer deux actes de défaut de biens. Quelques années plus tard, la société tombe en faillite. Dans ce contexte, le président du conseil d’administration se fait céder les deux créances à l’origine des actes de défaut de biens. La cession est mentionnée au verso de ceux-ci. La question de savoir si les cessions ont eu lieu avant ou après la faillite de la société créancière fait l’objet du litige entre les parties.

Le créancier cessionnaire entame une poursuite contre le titulaire de la raison individuelle. Suite au prononcé de la mainlevée provisoire, confirmée par le Tribunal fédéral, le débiteur agit en annulation de la poursuite. Dans ce cadre, il conteste le contenu des titres de cession en faisant valoir que la cession des créances a eu lieu après l’ouverture de la faillite de la société dont le créancier cessionnaire était le président du conseil d’administration.

Débouté en première instance, le débiteur obtient gain de cause en appel. Contre ce prononcé, le créancier agit devant le Tribunal fédéral qui doit déterminer si le fardeau de la preuve de la date de cession des créances est régi par l’art. 8 CC ou par l’art. 178 CPC.

Droit

Sous la note marginale « authenticité Â», l’art. 178 CPC dispose que la partie qui invoque un titre doit en prouver l’authenticité si la partie adverse la conteste sur la base de motifs suffisants.

Le Tribunal fédéral constate d’emblée que le terme « authenticité Â» n’est pas clair. Dans le langage courant, l’authenticité peut se référer tant à l’identité de l’auteur qu’à la qualité du titre. Dans le jargon juridique, l’authenticité ne se réfère en revanche qu’à l’identité de l’auteur. Le Tribunal fédéral est ainsi appelé à se pencher pour la première fois sur les contours de cette notion.

Le message du Conseil fédéral se réfère à la notion d’authenticité en lien avec les motifs que la partie adverse doit soulever pour que la partie qui invoque un titre doive en prouver l’authenticité. Il indique que la partie adverse doit présenter « des éléments concrets qui permettent de douter de l’authenticité du document (contenu ou signature) Â». À première lecture, le message semble donc retenir une notion large d’authenticité, comprenant tant l’authenticité de l’identité de l’auteur que du contenu. Le Tribunal fédéral précise toutefois que le passage précité ne permet de parvenir à une signification univoque de la notion d’authenticité. Dans la mesure où les éléments concrets permettant de douter de l’identité de l’auteur du titre peuvent aussi bien découler de la forme (signature inusuelle, etc.) que du contenu (contenu inusuel compte tenu de l’identité de l’auteur, etc.), la notion d’authenticité telle que visée dans le message n’inclut pas forcément la véracité du contenu.

Le Tribunal fédéral analyse ensuite les diverses opinions doctrinales sur la question, et constate que celles-ci sont partagées.

D’un point de vue systématique, le Tribunal fédéral observe que l’art. 179 CPC (force probante des registres publics et des titres authentiques) se réfère explicitement au terme de « contenu […] inexact Â», ce qui a contrario est un indice en faveur du fait que la notion est différente de celle qui est prévue à l’art. 178 CPC.

Le sens et le but de cette dernière disposition plaident également pour une notion étroite du terme d’authenticité. Un élargissement de la notion aurait pour effet d’accorder aux titres privés une valeur probante similaire à celle des titres authentiques consacrés à l’art. 179 CPC, ce qui paraît inadéquat compte tenu des divers documents qui peuvent tomber sous la notion de titre (cf. art. 177 CPC) ainsi que des diverses procédures auxquelles l’art. 178 CPC peut s’appliquer. Il n’y a donc pas lieu d’accorder aux titres privés une crédibilité accrue qui au demeurant relativiserait la répartition du fardeau de la preuve prévue à l’art. 8 CC.

Finalement, le Tribunal fédéral considère que la notion d’authenticité de l’art. 180 al. 1 CPC (production de titres) comprend quant à elle également l’authenticité du contenu étant donné que la production de l’original d’un titre permet de vérifier que son contenu correspond à celui de la copie produite en justice par une partie. La notion d’authenticité de l’art. 178 CPC ne correspond donc pas à celle employée à l’art. 180 CPC.

Compte tenu de ce qui précède, la notion d’authenticité de l’art. 178 CPC ne se réfère qu’à l’identité de l’auteur, et non pas à la véracité du contenu d’un titre.

Dans le cas d’espèce, le débiteur a contesté la date de cession des créances à l’origine des deux actes de défaut de biens. Il s’agit là d’un argument ayant trait à l’authenticité du contenu des titres de cession (authenticité au sens large), si bien que la répartition du fardeau de la preuve de l’authenticité du titre n’est pas régie par l’art. 178 CPC, mais par la règle générale de l’art. 8 CC. Dès lors, suite au grief soulevé par le débiteur – lequel ne requiert pas de « motifs suffisants Â» comme l’exige l’art. 178 CPC, il appartenait au créancier de prouver l’authenticité du contenu du titre, en produisant par exemple des extraits de la comptabilité de la société cédante. A défaut d’avoir prouvé la date de cession des créances et compte tenu des circonstances dans lesquelles la cession a eu lieu en l’espèce (contrat avec soi-même), l’instance cantonale n’est pas tombée dans l’arbitraire en retenant que le créancier avait manqué de prouver la véracité de la date des cessions mentionnée dans les deux titres.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral confirme l’arrêt cantonal et rejette le recours du créancier.

Note

En premier lieu, il est intéressant de noter que le Tribunal fédéral reconnaît explicitement le caractère non uniforme de la notion d’authenticité entre l’art. 180 al. 1  et l’art. 178 CPC. Bien que d’un point de vue téléologique le raisonnement de la Haute cour paraît convaincant, il n’est pas entièrement satisfaisant que les contours de la notion ne soient pas les mêmes entre deux articles aussi proches sous l’angle systématique.

En deuxième lieu, dans un obiter dictum le Tribunal fédéral se réfère à l’avis d’une partie de la doctrine qui soutient qu’il existe en définitive une présomption naturelle en ce qui concerne l’authenticité au sens étroit d’un titre, c’est-à-dire l’identité de son auteur. Ceci implique que la partie qui conteste l’identité de l’auteur d’un titre se voit imposer des exigences d’allégation et de motivation accrues. La lettre de l’art. 178 CPC confirme cette conception en disposant que la partie qui conteste l’authenticité (au sens étroit) d’un titre doit le faire sur la base de « motifs suffisants Â».

Enfin, le Tribunal fédéral rappelle la dichotomie entre la procédure de mainlevée et celle (au fond) de l’action en annulation de la poursuite : l’issue de la première n’influence en principe en rien celui de la deuxième.

Proposition de citation : Simone Schürch, La notion d’authenticité du titre selon l’art. 178 CPC, in : www.lawinside.ch/478/