La conformité à l’acquis de Schengen d’une condamnation pour séjour illégal

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ATF 143 IV 249 | TF, 15.05.2017, 6B_274/2016*

Faits

Un ressortissant guinéen voit sa demande d’asile rejetée en 2004. Il disparaît alors des structures d’asiles, ce pourquoi les autorités n’entament aucune démarche en vue de son renvoi. En 2015, il est condamné en première instance à une peine privative de liberté pour séjour illégal. Sur appel, la Cour de justice genevoise l’acquitte.

Saisi par le Ministère public, le Tribunal fédéral doit déterminer dans quelles circonstances la Directive européenne sur le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (qui appartient à l’acquis de Schengen repris par la Suisse) s’oppose à une condamnation pénale pour séjour illégal.

Droit

A teneur de l’art. 115 al. 1 let. b LEtr, celui qui séjourne illégalement en Suisse est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire.

La Directive européenne relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (Directive 2008/115/CE, la « Directive ») appartient à l’acquis de Schengen que la Suisse s’est engagée à reprendre (Accord entre la Confédération suisse, l’Union européenne et la Communauté européenne sur l’association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen). La Directive prévoit la procédure pour renvoyer des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Aux termes de l’art. 15 de la Directive, les États membres peuvent placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet d’une procédure de retour uniquement (1) afin de préparer le retour ou de procéder à l’éloignement et (2) pour autant que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être appliquées efficacement.

La jurisprudence de la CJUE (en particulier les arrêts El Dridi, Achughbabian, Sagor, Zaizoune, Celaj, et Affum) délimite la possibilité pour les Etats de prévoir des sanctions en cas de séjour illégal au regard de la Directive. En substance, la CJUE retient que la Directive ne s’oppose pas à la pénalisation du séjour illégal en tant que telle. La sanction pénale ne doit toutefois pas entraver le renvoi de la personne concernée. Une peine privative de liberté n’est ainsi admissible que lorsque l’Etat a appliqué la procédure de renvoi prévue par la Directive et en particulier pris des mesures contraignantes en vue de l’expulsion de l’intéressé. Une peine pécuniaire est compatible avec la Directive, à moins qu’elle ne fasse obstacle au renvoi de la personne concernée.

En l’espèce, la Cour de justice genevoise a retenu qu’au regard de la Directive, le prévenu ne pouvait être condamné pour séjour illégal au sens de l’art. 115 al. 1 let. b LEtr alors qu’aucune mesure de contrainte n’avait été prise en vue de son renvoi. Le Ministère public conteste cette interprétation, faisant valoir qu’elle permettrait à toute personne sans titre de séjour à rester impunément en Suisse pendant de longues périodes.

Le Tribunal fédéral retient qu’une peine privative de liberté ne peut être prononcée et exécutée lorsqu’aucune mesure n’a été prise en vue du renvoi de l’intéressé. En revanche, rien ne s’oppose à ce que ce dernier soit reconnu coupable de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEtr). Une peine pécuniaire peut être prononcée, puisqu’elle n’entrave pas la procédure de renvoi.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’instance précédente pour qu’elle reconnaisse l’intimé coupable de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEtr) et examine l’opportunité du prononcé d’une peine pécuniaire .

Note

Cet arrêt clarifie une jurisprudence parfois fluctuante. Il s’écarte expressément de l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_1172/2014 du 23 novembre 2015, selon lequel le prononcé d’une peine pécuniaire avant le terme de la procédure de renvoi violait la Directive. Selon la doctrine, l’arrêt 6B_1172/2014 ne tenait pas compte des derniers développements jurisprudentiels européens, en particulier l’arrêt Sagor qui admet expressément le prononcé d’une peine pécuniaire. L’arrêt 6B_1172/2014 semblait au surplus accorder une priorité générale à la procédure de renvoi par rapport à la procédure pénale, laquelle n’est pas exigée par la jurisprudence européenne. Le projet du Conseil fédéral de révision de la LEtr au regard de la Directive propose au demeurant d’autoriser (mais non d’obliger) l’autorité compétente à renoncer à la procédure pénale lorsqu’une procédure de renvoi est prévue ou pendante (art. 115 al. 4 projet LEtr révisée).

Dans l’arrêt du même jour 6B_366/2016*, le Tribunal fédéral se penche sur l’applicabilité de la Directive en cas de concours d’infractions entre le séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEtr) et la violation de l’interdiction de périmètre (art. 74 cum 119 al. 1 LEtr).

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La conformité à l’acquis de Schengen d’une condamnation pour séjour illégal, in : www.lawinside.ch/481/

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