Le recours contre la décision sur la compétence en arbitrage international

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ATF 143 III 462TF, 20.07.2017, 4A_98/2017*

Faits

Une société introduit une procédure d’arbitrage contre un Etat en se fondant sur le Traité de la Charte de l’énergie en vue d’obtenir un paiement de plus de 13 milliards de dollars à titre de dommages-intérêts dérivant d’une prétendue expropriation illégale.

L’Etat actionné soulève l’exception d’incompétence en raison de cinq motifs alternatifs. Le Tribunal arbitral décide de scinder la procédure et d’examiner d’abord trois des cinq motifs invoqués, les deux autres devant être traités avec le fond de la cause.

Par Interim Award on Jusrisdiction, le Tribunal arbitral écarte les trois motifs et dit que toutes les autres objections concernant la compétence et la recevabilité seront traitées avec le fond.

L’Etat exerce un recours en matière civile pour violation de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP auprès du Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la recevabilité d’un recours en matière d’arbitrage international contre une décision qui ne tranche pas définitivement la question de la compétence du tribunal arbitral.

Droit

Lorsqu’un tribunal arbitral se déclare expressément compétent, il rend une décision au sens de l’art. 190 al. 2 LDIP contre laquelle un recours doit être intenté immédiatement, sous peine de forclusion.

Le Tribunal fédéral devrait, en principe, ne connaître qu’une seule fois de la même affaire, à la fin de la procédure. La loi autorise toutefois, pour des raisons d’économie de procédure, un recours immédiat contre certaines décisions incidentes (p. ex. art. 93 LTF). En matière d’arbitrage, l’art. 77 al. 2 LTF prévoit toutefois que les art. 90 à 98 LTF ne s’appliquent pas.

Le Tribunal fédéral admet qu’il existe un certain antagonisme entre, d’une part, l’intérêt des parties et/ou du tribunal arbitral à ce que le Tribunal fédéral se prononce sur les recours contre les décisions incidentes du tribunal arbitral, même si ces dernières ne tranchent pas définitivement la question de la compétence, et, d’autre part, l’intérêt du Tribunal fédéral à ne pas devoir connaître de la même affaire à diverses reprises.

Le Tribunal fédéral procède donc à l’analyse de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP afin de trancher la question topique. L’interprétation littérale permet de retenir que le tribunal arbitral doit se prononcer définitivement sur sa compétence. La sécurité du droit ainsi que le rôle d’une cour suprême prônent la même solution : les parties pourraient, dans le cas inverse, amener leur litige, pour des raisons tactiques, devant le Tribunal fédéral à plusieurs reprises. Enfin, le principe de l’économie de la procédure va dans le même sens : le Tribunal fédéral ne doit trancher la question de la compétence du tribunal arbitral qu’à une seule et unique reprise.

En l’espèce, le Tribunal arbitral n’a pas tranché de manière définitive la question de sa compétence puisqu’il a décidé de traiter deux des motifs d’incompétence avec la cause au fond. Partant, le Tribunal arbitral ne s’est pas encore déclaré compétent ou incompétent au sens de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP.

Note

Il est intéressant de noter que la recourante a elle-même exprimé de sérieux doutes quant à la recevabilité de son recours. On peut comprendre toutefois que, dans un raisonnement pragmatique, la recourante devait contester l’Interim Award on Jusrisdiction afin d’éviter qu’on lui oppose, par la suite, l’autorité de chose jugée de la sentence sur compétence. La recourante peut ainsi attendre la décision définitive du tribunal arbitral sur sa compétence avant d’amener cette question devant du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral souligne le fait que la doctrine ne s’est jamais prononcée sur la question qu’il avait à trancher. Peut-être est-ce pour cela qu’il procède d’abord à des “considérations d’opportunité” avant de passer au raisonnement juridique. Concernant ces considérations d’opportunité, le Tribunal fédéral souligne notamment que si un tel recours devait être déclaré recevable, cela permettrait à la partie qui conteste la compétence de ralentir notablement l’avancée de la procédure arbitrale. En effet, une fourniture de sûretés n’est pas rare en arbitrage international, tout comme un double échange d’écritures, souvent interrompu par les féries judiciaires, ce qui ralentit la reprise de la procédure arbitrale. En l’espèce, le Tribunal fédéral avait d’ailleurs, sur requête de mesures superprovisonnelles, suspendu la procédure arbitrale.

Enfin, le Tribunal fédéral souhaite éviter que la réalisation de sa “mission première (…) qui consiste à assurer l’application uniforme du droit fédéral et à garantir le respect des droits fondamentaux” ne puisse être atteinte à cause d’une “méthode privée de règlement des conflits à caractère international, n’intéressant de surcroît qu’un nombre restreint d’initiés en Suisse”, laquelle ralentirait la résolution des autres procédures pendantes.

Proposition de citation : Célian Hirsch, Le recours contre la décision sur la compétence en arbitrage international, in : www.lawinside.ch/482/