La coactivité par négligence est-elle admissible ?

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TF, 01.06.2017, 6B_360/2016 et 6B_361/2016*

Une condamnation pour coactivité par négligence est admissible pour autant qu’un projet commun de comportement en violation de certaines règles de comportement/de prudence soit établi. Tel n’est pas le cas en l’espèce, les prévenus n’ayant aucunement concerté leur action.

Faits

Deux jeunes hommes sont reconnus coupables, en tant que coauteurs, d’incendie par négligence (art. 222 CP) et d’infraction à la loi cantonale argovienne sur la protection contre l’incendie, pour avoir provoqué un important incendie (ayant entrainé à peu près CHF 900’000.- de dommage) en faisant partir chacun deux fusées depuis la terrasse d’un appartement au rez-de-chaussée. L’enquête n’a pas permis de déterminer laquelle des fusées a effectivement causé l’incident.

Sur opposition, le Tribunal de district acquitte les prévenus. Ce jugement est renversé en appel.

Les deux jeunes hommes recourent au Tribunal fédéral qui doit déterminer si la condamnation en tant que coauteurs d’un délit commis par négligence était fondée.

Droit

Aux termes de l’art. 222 al. 1 CP, celui qui, par négligence, aura causé un incendie et aura ainsi porté préjudice à autrui ou fait naître un danger collectif, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Les recourants ne contestent pas que leur comportement remplit, en tant que tel, les éléments constitutifs de l’infraction de l’art. 222 al. 1 CP. Ils soutiennent néanmoins que la jurisprudence « rolling stones » (ATF 113 IV 58) sur laquelle se fonde leur condamnation n’est pas applicable dans le cas d’espèce.

Dans l’ATF 113 IV 58 (arrêt « rolling stones ») le Tribunal fédéral a admis la coactivité de deux hommes condamnés pour homicide par négligence après qu’ils avaient fait rouler chacun une pierre en bas d’un ravin. L’une des deux pierres, sans que l’on sache laquelle, avait blessé mortellement un pêcheur se trouvant en contrebas. Les deux hommes connaissaient parfaitement les lieux et savaient que des pêcheurs se trouvaient fréquemment plus bas. Par ailleurs, l’un des deux hommes, sur conseil de l’autre, avait demandé à haute voix si quelqu’un se trouvait sur le bord de la rivière. N’ayant pas reçu de réponse, les deux avaient décidé de rouler les pierres.

Le Tribunal fédéral constate que cette jurisprudence a fait l’objet de nombreuses critiques de la doctrine, essentiellement en ce qui concerne la condamnation pour coactivité d’une infraction commise par négligence (fahrlässige Mittäterschaft). L’opinion de Hurtado Pozo retient tout particulièrement l’attention du Tribunal fédéral. Selon celle-ci, dans ce genre de cas il en va de la réalisation d’un projet commun de comportement, laquelle est la cause du résultat préjudiciable. Les auteurs peuvent et doivent reconnaître la dangerosité de leurs actions et violent ainsi collectivement leurs devoirs d’attention et de diligence (Unsorgfaltgemeinschaft).

Le Tribunal fédéral passe ensuite en revue la jurisprudence rendue en lien avec cette question, et observe que dans ses derniers arrêts la notion de coactivité par négligence a été rejetée (cf. ATF 126 IV 84 en particulier).

En l’espèce, l’état de fait se distingue nettement de celui de l’arrêt rolling stones. Les deux jeunes hommes ne se sont en effet nullement concertés en ce qui concerne la façon d’agir et l’analyse des risques en présence. D’après les constatations de l’instance cantonale, ils ont tout simplement décidé d’allumer chacun deux fusées, et chacun était libre de choisir la manière dont il souhaitait le faire. Seul l’un d’eux a fait partir la fusée qui a provoqué l’incident, en raison d’un allumage inadéquat, avec une aggravation des risques liée au fait que la fusée avait été plantée dans le terrain. La preuve d’une action décidée en commun en violation des règles de diligence fait ainsi défaut.

L’instance cantonale ne pouvait par conséquent se référer à l’ATF 113 IV 58 pour fonder son jugement de culpabilité. La coactivité d’un délit commis intentionnellement suppose une décision commune, qui peut être prise par actes concluants. Cette décision commune doit être prouvée et ne saurait être supposée. De manière analogue, la coactivité en cas de délit commis par négligence est admissible pour autant qu’un projet commun de comportement (négligent/en violation des règles de prudence) soit établi. Ce n’est que pour certaines infractions que la loi renonce à exiger un tel projet commun de comportement, notamment dans le cas d’une rixe (art. 133 CP), où le seul fait de participer suffit pour fonder la condamnation.

Dans le cas particulier, il n’est pas possible de déterminer lequel des auteurs a allumé la fusée à l’origine du dommage. Ni le comportement exact de chacun d’eux ni leur volonté n’ont pu être établis. Vu l’impossibilité de clarifier ces aspects, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire à l’instance cantonale pour qu’elle acquitte les deux jeunes hommes.

Note

Contrairement à sa jurisprudence récente et à l’opinion de la doctrine majoritaire, le Tribunal fédéral semble considérer ici que la coactivité par négligence est admissible.

Dans ses considérants, le Tribunal fédéral rappelle que le législateur a volontairement laissé à la jurisprudence et à la doctrine le soin de définir la notion de coactivité. Le message se limite en effet à indiquer que le coauteur contribue de manière essentielle à l’infraction. La coactivité est concevable par exemple lors de la participation à une infraction par instigation, et a pour effet d’alléger le fardeau de la preuve en ce qui concerne les apports de chaque personne impliquée. Aucun allégement n’est en revanche admis s’agissant de la prise de décision de passer à l’acte (Tatentschluss).

Proposition de citation : Simone Schürch, La coactivité par négligence est-elle admissible  ?, in : www.lawinside.ch/490/