La portée du principe in dubio pro duriore

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ATF 143 IV 241 | TF, 01.06.2017, 6B_1358/2016*

Un classement n’est possible que lorsque l’impunité des actes du prévenu paraît claire ou lorsque des conditions à l’action pénale font manifestement défaut. Dans ce cadre, la situation probatoire doit paraître claire, à défaut de quoi le Ministère public ne saurait anticiper l’appréciation du juge du fond. Le pouvoir de cognition du Tribunal fédéral se limite à l’analyse de cette question.

Faits

Une épouse dépose plainte contre son époux pour lésions corporelles simples, menaces et séquestration. Pour l’essentiel, elle l’accuse d’avoir régulièrement fait usage de violence contre elle et de l’avoir enfermée à clé dans une pièce de l’appartement à plusieurs reprises, en l’obligeant à rester debout sur une jambe.

Le Ministère public classe la procédure environ un an après le dépôt de la plainte. Le recours de l’épouse contre ce prononcé étant rejeté, elle agit devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

Le Tribunal fédéral doit en particulier se pencher sur la portée du principe in dubio pro duriore.

Droit

L’épouse fait grief à la cour cantonale d’avoir violé l’art. 319 al. 1 CPP, le principe in dubio pro duriore ainsi que la maxime inquisitoire et d’office.

Aux termes de l’art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ; lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis (let. b) ou lorsque des faits justificatifs empêchent de retenir une infraction contre le prévenu (let. c).

La décision de classer une procédure doit s’orienter autour du principe in dubio pro duriore. D’après ce principe, un classement n’est possible que lorsque l’impunité des actes du prévenu paraît claire ou lorsque des conditions à l’action pénale font manifestement défaut. Lorsqu’une condamnation apparaît aussi probable qu’un acquittement, il convient en principe de renvoyer le prévenu en jugement. En effet, en présence d’une situation juridique ou probatoire peu claire, il appartient au juge du fond de décider de la culpabilité du prévenu.

Lorsqu’il existe des versions factuelles contradictoires entre le prévenu et la victime (« affirmation contre affirmation »), typiquement en cas de Vier-Augen-Delikte, le prévenu doit en principe être renvoyé en jugement. Font exception les cas où la partie plaignante tient des affirmations contradictoires et peu crédibles.

S’il appartient en principe au juge du fond de procéder à des constatations de fait, le Ministère public et l’instance de recours peuvent également être amenés à constater des faits, pour autant qu’ils paraissent clairs et établis au point qu’en cas de renvoi en jugement le juge du fond ne s’en écarterait pas. Cela vaut également en cas de classement. En vertu du principe in dubio pro duriore, ce n’est que lorsque la situation probatoire n’est pas claire qu’il est interdit au Ministère public d’anticiper l’administration des preuves qui ferait le juge du fond.

S’agissant du pouvoir de cognition du Tribunal fédéral en cas de recours contre une décision de classement, celui-ci se limite à la question de savoir si l’instance précédente a considéré à tort que la situation probatoire ou d’autres éléments du dossier étaient clairs (cf. art. 97 al. 1 LTF). Plus particulièrement et à l’instar du principe in dubio pro reo, le principe in dubio pro duriore comporte deux volets. Le premier (question de fait) concerne l’appréciation des preuves et n’est revu par le Tribunal fédéral que sous l’angle de l’arbitraire (p. ex. le fait de retenir, sur la base des éléments probatoires, qu’il n’existe pas de soupçons justifiant une mise en accusation). Le deuxième (question de droit) a trait à la portée de la notion de « soupçons justifiant une mise en accusation » visée à l’art. 319 al. 1 let. a CPP, et est revu librement par la Haute cour. Dans tous les cas, les autorités cantonales disposent d’un certain pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la question de savoir si, sur la base du résultat de l’administration des preuves, il y a lieu de renvoyer en jugement.

En l’espèce, les parties ont été confrontées devant le Ministère public en présence de leurs avocats. L’époux a toujours contesté les allégations de son épouse et l’a en outre accusée d’avoir dit à sa famille au Kosovo de le frapper au motif qu’il l’avait quittée. Il a produit des pièces attestant des blessures subies suite à cette agression. En revanche, les accusations de l’épouse n’apparaissent que peu précises et motivées. En particulier, celle-ci n’a apporté aucune preuve des blessures subies du fait des actes de son époux, comme p. ex. un rapport médical.

Compte tenu de ces éléments, l’instance précédente n’est pas tombée dans l’arbitraire en niant l’existence de soupçons justifiants une mise en accusation. Elle n’a pas non plus violé l’art. 319 al. 1 let. a CPP respectivement méconnu la portée du principe in dubio pro duriore.

C’est donc à raison que l’instance précédente a confirmé le classement de la procédure contre l’époux. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Proposition de citation : Simone Schürch, La portée du principe in dubio pro duriore, in : www.lawinside.ch/500/