La transparence et la protection des données d’entreprises publiques

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ATF 144 II 77TF, 27.09.2017, 1C_428/2016*

Conformément au principe de la transparence, les autorités peuvent divulguer les documents officiels comprenant des données personnelles si ceci répond à un intérêt public prépondérant. Tant des intérêts privés que des intérêts publics à la confidentialité peuvent être pris en compte dans la pesée des intérêts. Le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si les personnes morales de droit public ont également droit à la protection de leurs données personnelles.

Faits

Un journaliste requiert l’accès à la nouvelle base de données d’évènements (NEDB) maintenue par l’Office fédéral des Transports (“l’Office”) qui répertorie les déclarations des principales entreprises de transport en Suisse. L’Office entend les entreprises concernées, puis refuse l’accès à certaines des informations visées. Après une médiation infructueuse auprès du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, l’Office rend une décision formelle refusant l’accès aux données concernant les mises en danger et les incidents techniques, contrairement aux recommandations du Préposé.

Sur recours du journaliste, le Tribunal administratif fédéral accorde l’accès à ces données.

Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (le “Département”) recourt contre cette décision auprès du Tribunal fédéral. Il s’agit notamment de déterminer dans quelle mesure le droit d’entreprises publiques à la protection de leurs données personnelles peut faire obstacle au principe de la transparence.

Droit

Afin de concilier le principe de la transparence avec le droit fondamental à la protection de la sphère privée (art. 13 Cst. et art. 1 LPD), la loi restreint le droit d’accès aux documents officiels lorsque ceux-ci contiennent des données personnelles qui ne peuvent être rendues anonymes. Dans de telles circonstances, les autorités peuvent divulguer les données en vertu de la LTrans si (1) les données concernées sont en rapport avec l’accomplissement de tâches publiques et (2) leur communication répond à un intérêt public prépondérant (art. 19 al. 1bis LPD, applicable par le renvoi de l’art. 9 al. 2 LTrans). La première condition est toujours remplie s’agissant de documents officiels au sens de l‘art. 5 LTrans (ATF 142 II 340, résumé in : LawInside.ch/295). La seconde condition requiert une pesée des intérêts en présence.

En l’espèce, le Département fait valoir que l’intérêt à la protection des données des entreprises de transport doit prévaloir sur l’intérêt public à la transparence s’agissant des données NEDB concernant les mises en danger et les incidents techniques. La LPD protège notamment les données personnelles de personnes morales (art. 2 al. 1 cum art. 3 let. 2 LPD). La doctrine majoritaire, en accord avec le Message relatif à la LPD (FF 1988 II 421 ss, 446), retient que les personnes morales de droit public ont également droit à la protection de leurs données personnelles, pour des motifs d’égalité de traitement. Le Tribunal fédéral s’interroge sur le bien-fondé de ce raisonnement. Il va en effet à l’encontre la jurisprudence fédérale en matière de droits fondamentaux, selon laquelle les personnes morales de droit public ne jouissent pas de la protection des droits fondamentaux, à tout le moins lorsqu’elles exercent la puissance publique et/ou accomplissent une tâche d’intérêt public. La question du droit des entreprises publiques à la protection de leurs données personnelles est laissée ouverte en l’espèce, au regard de l’issue de la pesée des intérêts.

En effet, s’agissant de l’intérêt au maintien de la confidentialité, le Département invoque que la divulgation dissuaderait les entreprises de transport d’annoncer les mises en danger et les incidents techniques à l’Office, ce qui nuirait à l’intérêt public et à la sécurité des transports en commun.

Selon la doctrine, les intérêts publics pouvant s’opposer à la divulgation sont énumérés exhaustivement à l’art. 7 al. 2 LTrans. Partant, seuls les intérêts privés des personnes concernées pourraient être considérés dans la pesée des intérêts de l’art. 19 al. 1bis LPD. Le Tribunal fédéral retient au contraire que tant des intérêts privés que des intérêts publics à la confidentialité peuvent être pris en compte dans la pesée des intérêts prévue par cette disposition, à défaut de quoi celle-ci serait incomplète.

Cela étant, les entreprises de transport ont l’obligation légale d’annoncer les mises en danger et les incidents techniques (cf. notamment art. 14a LcdF). Contrairement à ce que fait valoir le Département, on ne peut pas s’attendre à ce que ces entreprises violent leurs obligations légales en cas de divulgation des données concernant les mises en danger et les incidents techniques. En tout état, un tel comportement illégal de leur part ne mériterait aucune protection. S’agissant de l’intérêt privé des entreprises à la préservation de leur chiffre d’affaires, il sied de relever qu’elles opèrent dans une situation de monopole. Il est dès lors peu vraisemblable que la divulgation des données porte un préjudice sérieux au chiffre d’affaires des entreprises de transport.

S’agissant de l’intérêt à la transparence, le public a un intérêt important à la divulgation de ces données, eu égard à la situation de monopole, aux tâches étatiques dont s’acquittent les entreprises concernées et au financement public de leur activité. Partant, la communication des données visées répond à un intérêt public prépondérant (art. 19 al. 1bis LPD).

Le Tribunal fédéral rejette également les autres griefs soulevés par le Département. Il confirme ainsi la décision de l’instance précédente d’autoriser l’accès aux données et rejette le recours.

Note

Sous l’angle de la recevabilité, la jurisprudence fédérale retient que l’application de la LTrans concerne l’entier de l’administration fédérale (ATF 142 II 324, résumé in : LawInside.ch/300 ainsi que l’arrêt résumé ci-dessus). Appliqué avec cohérence, ce raisonnement revient à considérer que la LTrans appartient au domaine d’attribution de toutes les autorités visées à l’art. 89 al. 2 let. a LTF et, partant, de leur ouvrir à toutes le recours contre les décisions rendues en matière de transparence.

Le projet de LPD révisée adopté par le Conseil fédéral propose de renoncer à la protection des données personnelles des personnes morales, mettant ainsi fin à un particularisme suisse. Si le nouveau droit maintient l’exigence d’une pesée des intérêts en cas de communications de données de personnes morales (art. 9 al. 2 P-LTrans cum art. 57s al. 4 P-LOGA), le Message (FF 2017 6565, p. 6632 s.) précise que le droit d’accès à des documents contenant des données de personnes morales ne pourra plus être restreint pour des motifs de protection des données mais uniquement si l’accès risque de révéler des secrets professionnels, d’affaires ou de fabrication ou s’il existe un risque d’atteinte à la sphère privée de l’entité concernée, par exemple à sa réputation (cf. art. 7 al. 1 let. g et al. 2 LTrans, dont la teneur reste la même). Sous réserve des délibérations parlementaires, la question de la protection des données personnelles des personnes morales de droit public ne se posera donc plus sous le nouveau droit.

Pour le surplus, la question du rapport entre la LTrans et la LPD en présence de données de personnes privées a notamment fait l’objet de l’ATF 142 II 340, résumé in : LawInside.ch/295.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La transparence et la protection des données d’entreprises publiques, in : www.lawinside.ch/539/

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