L’interprétation d’une transaction judiciaire par le juge de la mainlevée

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ATF 143 III 564 | TF, 23.10.2017, 5A_533/2017*

Si une transaction judiciaire n’est pas claire, le juge de la mainlevée ne peut pas procéder à son interprétation au sens de l’art. 18 CO, mais doit rejeter la requête de mainlevée.

Faits

Une société par actions simplifiée (SAS) dépose une demande en paiement contre une société anonyme auprès du Tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois (première procédure).

De son côté, la société anonyme dépose une demande en paiement à l’encontre de la SAS, devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois (seconde procédure). La société anonyme fonde alors ses prétentions sur la LCD, sur la responsabilité contractuelle et sur la responsabilité fondée sur la confiance.

Dans la première procédure, les sociétés concluent une transaction judiciaire, à teneur de laquelle la dette de la société anonyme ne sera exigible qu’une fois que le sort de sa créance, objet de la seconde procédure, sera définitivement connu.

Dans la seconde procédure, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois rend un jugement dans lequel il déclare irrecevables les conclusions de la société anonyme fondées sur une responsabilité autre que la LCD, faute de compétence, et rejette les autres conclusions.

La SAS dépose une réquisition de poursuite à l’encontre de la société anonyme en se fondant sur la transaction ainsi que sur le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Suite à l’opposition de la société anonyme, le Juge de paix prononce la mainlevée, laquelle est annulée par la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois. En effet, la Cour des poursuites et faillites considère que le sort de la créance visée par la transaction n’est pas définitivement connu puisque la Cour civile ne s’est pas prononcée sur la responsabilité contractuelle. Dès lors, la condition de l’exigibilité de la dette reconnue dans la convention n’est pas réalisée.

La SAS dépose un recours en matière civile au Tribunal fédéral en soutenant que la transaction avait pour but de conditionner la créance à la fin de la seconde procédure, et non au sort définitif de la créance. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à préciser si le juge de la mainlevée peut interpréter une transaction judiciaire.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le juge de la mainlevée ne doit pas constater l’existence matérielle de la créance, mais bien celle du titre exécutoire. Selon l’art. 80 al. 2 ch. 1 LP, la transaction judiciaire est assimilée à un jugement. Bien qu’elle ait le caractère d’un acte contractuel, la transaction judiciaire entraîne la fin du procès et jouit de la force de chose jugée.

De jurisprudence constante, le juge de la mainlevée n’a ni à revoir ni à interpréter le titre produit par le créancier. Si le titre est un jugement peu clair ou incomplet, il appartient au juge du fond de le préciser ou de le compléter (art. 334 CPC). Le juge de la mainlevée peut également se référer aux considérants du jugement pour déterminer si le titre vaut titre de mainlevée définitive.

Concernant la transaction judiciaire, cette dernière ne peut faire l’objet d’une demande d’interprétation au sens de l’art. 334 CPC, mais doit être interprétée selon les règles applicables au contrat (art. 18 CO : recherche de la réelle et commune intention des parties). Selon la jurisprudence, le juge de la mainlevée peut interpréter la transaction judiciaire lorsque l’exécution forcée porte sur une somme d’argent, afin de décider si elle constitue un titre de mainlevée.

Le Tribunal fédéral procède à une précision de jurisprudence et indique qu’aucune raison ne justifie de traiter différemment la transaction judiciaire et le jugement. Etant donné que le juge de la mainlevée ne peut pas interpréter une décision judiciaire, il ne peut pas non plus interpréter une transaction judiciaire au sens de l’art. 18 CO. Ainsi, la transaction doit clairement obliger de manière définitive le débiteur au paiement d’une somme d’argent déterminée.

En l’espèce, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois s’est uniquement penchée sur les prétentions découlant de la LCD, mais non sur celles découlant d’une éventuelle responsabilité contractuelle. Le sort de la créance mentionnée dans la transaction n’est ainsi pas définitivement connu. L’autorité cantonale ne pouvait donc pas considérer que la transaction valait titre de mainlevée définitive sans procéder à une interprétation de la volonté des parties. Or, le juge de la mainlevée ne pouvait justement pas interpréter la transaction au sens de l’art. 18 CO. La mainlevée a ainsi été rejetée à juste titre.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

En matière d’interprétation de transactions judiciaires, le Tribunal fédéral a récemment précisé qu’une convention de divorce peut faire l’objet d’une interprétation qui doit se fonder sur le sens voulu par le juge lorsqu’il l’a homologuée, et non sur les règles applicables à l’interprétation des contrats (TF, 31.08.17, 5A_510/2016*, résumé in : LawInside.ch/523).

L’arrêt résumé ici a fait l’objet d’un commentaire dans CPC Online. Bulletin/Heinzmann soulignent que cette précision de jurisprudence doit être approuvée. En effet, le Tribunal fédéral “harmonise les solutions concernant l’interprétation des transactions au stade de l’exécution forcée” ainsi que “les solutions en matière d’interprétation des transactions et d’interprétation des décisions judiciaires dans la procédure d’exécution forcée” (Note F. Bastons Bulletti/Michel Heinzmann in CPC Online (newsletter du 07.12.2017)).

Puisque le juge de la mainlevée ne peut plus interpréter une transaction au sens de l’art. 18 CO, la partie ayant conclu une transaction avec une condition peu claire devra intenter une action au sens de l’art. 88 CPC auprès du juge de fond afin de faire constater la réalisation de la condition prévue par la transaction (Note F. Bastons Bulletti/Michel Heinzmann in CPC Online (newsletter du 07.12.2017)).

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’interprétation d’une transaction judiciaire par le juge de la mainlevée, in : www.lawinside.ch/555/

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